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Parce que les loups sont prédateurs

muegelsee
©Le Berlinographe

Mon loup a disparu. Je n’aurais pas croisé ses yeux bleus bien longtemps. N’aurais pas senti son souffle sur ma peau, encore trop distant. Mon loup a disparu. Au fin fond de la forêt sombre, caché dans cet autre monde où je ne veux plus foutre les pieds. Alors j’attends à la lisière, des fois qu’il réapparaîtrait. De lui-même. Un pas dans la lumière. Je ne veux plus être cette fille qui sauve les âmes trop sombres. Alors j’attends dans la lueur du soleil chaud. Il fait chaud à Berlin. Très chaud. Quitte à attendre, autant retrouver l’eau, l’eau trouble du lac glacé. Et y plonger. Müggelsee.

J’ai retrouvé Léa à Ostkreuz sous un soleil brûlant. Souvenirs d’il y a deux ans. Je prenais les mêmes escaliers qui descendent sur la voie qu’on penserait abandonnée, la même robe, les mêmes lunettes de soleil, le temps se fige à Berlin. Les chemins restent, les habits restent, les habitudes aussi, à croire qu’il n’y a que les loups, ces chiens sans cœur qui fuient.

En marche. Nous transpirons dans le S-Bahn, nous sourions dans ce S-Bahn, des ruines, des champs d’herbes folles, des champs d’herbes molles, et pourtant c’est Berlin, toujours, Berlin, capitale en campagne. Nous descendons à Köpenick, changement, assises sur le trottoir dans un bout d’ombre en attendant le tram. Village. Nous sourions toujours, que c’est bon de prendre le temps d’ouvrir les yeux, de respirer un peu. Léa ne pourrait être plus juste : le temps du voyage est à prendre, à vivre, erleben en allemand, pour mieux le savourer. Le prendre pour le comprendre, avec le corps tout entier. Finalement nous mettrons presque autant de temps pour aller au lac que pour aller à Paris en avion… Mais quel doux voyage entre les arbres, les herbes jaunes, bain de soleil sur nos visages tendus vers le ciel. Tramway. Et la forêt revient. Traversée par ces deux rails. Sensation incroyable. Je pense à mon loup, à ses yeux clairs, son souffle à quelques centimètres de ma bouche, le cherche un peu des yeux entre les arbres. Je pense à mon loup. Mon loup disparu.

L’eau est froide, le sable est chaud, l’herbe est humide. Pas d’influence possible, pas le choix, accepte et profite. Léa et moi, allongées sous un arbre, le bruit de l’eau dans le vent, mon loup se balade sur le fil de mes pensées. Je l’aimais bien ce loup. Peut-être un jour sera-t-il prêt à sortir de sa forêt ? Alors j’attends. Je laisse le vent agiter mes cheveux, je laisse mes yeux se fermer peu à peu, le soleil dévore mon pied, puis ma jambe, le bas de mon dos, mais je ne peux bouger, sommeil profond. Rêves de loup, de nuits sans lune. Et mes semaines tournent. Allongée sur l’herbe du Teufelsberg, allongée sur les matelas du Blank, allongée sur le balcon de bois, Léa est là, chaque fois là. Comme quoi, l’oiseau a des ailes, mais elle ne se cache pas. Elle. Mes semaines tournent, les mois passés, tous ces avions aux mille destinations sentimentales, du Nord prometteur au Sud effrayant, du Nord décevant au Sud salvateur. Magie des surprises que réserve mon instinct. Mes semaines tournent, les souffles sur ma peau, d’un Mathieu, d’un Thomas, d’un A., bande de loups séducteurs à jamais prédateurs, bouffeurs de cœur.

Réveillée par les gouttes d’eau sur ma nuque, Léa est ressortie de l’eau, le sourire aux lèvres. S’allonge à mes côtés. Peau contre peau, son épaule froide sur mon bras chaud. Le soleil brille si fort, l’été arrive bien vite. Déjà. Si vite. Raison de plus pour prendre le temps. Et manger une glace. Ou deux. Oublier les loups un moment, sortir de la forêt et déployer mes ailes un instant, aimer ces elles, mes elles, les aimer pour de bon.

Merci à Simon pour l’illustration sonore…

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Auteur·e

julietirard

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