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Ce texte a été écrit et lu à l’occasion de la cinquième Lesebühne / Scène pour lire organisée par le Réseau des autrices de Berlin. Thème de la soirée : Lézard.

Ici les papillons vont par deux. Spiralent ensemble.

Deux blancs, deux orangés aux ronds noirs.

Sauf le soir.

*

Le soir ils se posent seuls dans l’herbe chaude.

Écartent grand les ailes.

La pelouse découpée en triangles, ombre et lumière du couchant, le soleil tatoué par la forêt de hêtres.

*

Ici tout est plus dur. Plus fort. Plus intense.

Les cracs des longues aiguilles de pin sous les pieds lorsqu’on rejoint la maison.

Les feuilles de basilic. Leur texture et leur goût. Râpeux.

Et la peau des lézards.

*

Ici les lézards ne se font pas discrets.

Ils ne sont pas gris.

Ni fins, ni rapides, ni petits.

Iguanes miniatures, le cou robuste, tendu vers le ciel.

Ici les lézards ont un corps vert acide parsemé de jaune, de noir, couleurs vives tout juste appliquées au pinceau.

Ici je peux voir dans leurs yeux.

*

Ici quatre chiens identiques et pourtant différents. Les oreilles de l’un droite, les poils de l’autre plus longs, la queue plus épaisse du troisième, le regard brillant du dernier.

Deux d’entre eux resteront anonymes.

Les deux autres : Brigetta et Giovanotti.

*

Ici les figues sont vertes et pourtant mûres.

Leur peau n’est pas velours, leur chair est pourpre et colle au doigt.

On les avale tout entière et ça crisse un peu sous les dents. Comme du miel.

Dans le verger un chat surveille.

*

Les hirondelles volent bas.

L’après-midi elles filent au-dessus des parasols, survolent les oliviers puis reviennent, descente rapide et contrôlée, le bec dans la piscine, repartent, reviennent, une par une, gorgée par gorgée.

Je les observe du bord.

Je les observe depuis l’eau.

Tente de les éviter.

L’une d’elle se prend dans mon chapeau, collision de pleine face, le chapeau s’envole, retombe dans l’eau. J’ai eu peur mais je ris.

*

Ici les cigales succèdent aux grillons qui succèdent aux cigales.

Métrique fixe en journée, jazz libre une fois la nuit tombée.

Parfois les chants se superposent quand le jour file et qu’il fait encore chaud.

*

Un grillon avance lentement le long de la porte de la salle de bain.

Vert transparent sur bois peint. Longues antennes. Regard jeune.

J’ai peur qu’il chante dans la nuit.

Un grillon sous le lit.

*

Ici les espaces se conquièrent.

Au nord de la terrasse : lézards.

Au sud, sous l’escalier : serpent.

Au sol : fourmis noires.

Sur la table : noires et rouges.

Au bas des murs, sous les meubles et derrière : faucheux.

Dans l’air : papillons de nuit, moustiques silencieux.

Plus haut : famille d’araignées transparentes.

Dans les poutres : frelons.

Et de passage : sauterelles, bourdons, grillons.

Au bord de la piscine : fourmis noires, les moyennes.

Au pied des arbres : les grosses.

Araignées rouges sur les dalles.

Et dans l’eau, angle sud-est du bassin uniquement, chaque matin et sans aucune explication, des coccinelles que je repêche une par une. Vingt-cinq longueurs, vingt-cinq coccinelles qui s’accrochent à mon doigt, qui s’envolent une fois sèches.

*

Le lit, lui, est à nous.

Ailleurs on nous tolère.

*

C’est bien comme ça.

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Auteur·e

julietirard