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Tu me manques

Septembre, le 13 exactement, je suis partie. Je t’ai quittée, je me suis envolée. Encore une fois. Je n’avais pas passé 10 jours dans tes bras que je repartais déjà. Pas très grande classe. Ça fait quoi, un an, plus d’un an je crois que je le répète à tout va, à tout le monde, à moi : j’ai besoin d’une pause, il faut que je parte. Mais dans la lumière des soleils qui se lèvent, quand j’entends les feuilles des arbres bruisser sous ma fenêtre, quand je flâne au bord du canal, que j’achète une glace dans les petites rues de Neukölln, que nous buvons des verres jusqu’à pas d’heures au milieu du parc en bas, je te souris, et je me perds dans le vert des feuilles, l’air bleuté du froid qui revient, la neige qui frappe à ma porte, les gravillons qui emplissent l’appartement, je t’aime et je te hais, quatre ans que ça dure. Il paraît que la passion s’estompe, se transforme… Je ne sais pas.
Hier soir encore ce garçon, charmant, qui m’offrait un verre me disait « mais qu’est-ce qu’on fout tous là alors, si Berlin c’est si bien ». J’ai ri, je me suis excusée, chaque année j’y ai droit. Chaque fois que je pars pour quelques jours, quelques mois, sur les plages de Grand Bassam, sur celles, moins chaleureuses, du Danemark, à Paris, Marseille, Lausanne et Toulouse désormais.
— Qu’est-ce que je fais là ? J’ai besoin d’un break. D’un break de toi.
Tu l’as voulu tu l’as eu. Oui je sais. Je l’ai eu.

Tu m’as manqué… Tu me manques… Et tu me manqueras encore ces prochaines semaines.

Septembre : boire un verre en terrasse, dans la Dieffenbachstraße, sous les arbres, sous les grandes feuilles des arbres. Dans le calme, il y a du monde oui mais pas de voitures, seulement des vélos et des enfants dans des carrioles qui chantonnent sur le trottoir. Manger une glace au coucher du soleil, se retrouver sur l’Admiral Brücke, écouter les musiciens de rue, le brouhaha de tous ceux qui sont venus là, s’asseoir sur le pont, partager une bière le cul sur le pavé le dos contre le fer forgé, regarder le soleil se coucher là-bas, les cygnes qui font sécher leur plume sur l’herbe verte des berges où je m’installe avec une couverture, un livre, quelques fruits achetés sur la route.

Octobre : je meurs de savoir que je rate l’automne. Ici il fait encore plus de 20 degrés. Et je m’en plains. Je suis incorrigible… Mais je les vois sous mes yeux, je me repasse les photos, encore et encore, de ma rue, des arbres qui s’endorment sous mes fenêtres, du parc juste là qui rougis. Je pense à ma grosse veste en laine bleue que je porte en octobre, dans laquelle je m’enroule pour aller chercher un chaï latte avant de traverser le parc, avant de me serrer contre un bras amical, avec qui on rira. Me délecter du froid qui pique les joues quand elles rosissent de plaisir. Chaud-froid. Un peu comme les glaçons que glissait Thomas dans mon dos les soirs de canicule au mois d’août. Chaud-froid. Mon sucré-salé à moi. Les couchers de soleil devant lesquels on se dit que oui, là, tout de suite, on pourrait mourir parce qu’on a vu le plus beau ciel qu’il nous ait été donné de voir. Et puis se dire le lendemain qu’heureusement qu’on est pas mort parce qu’on aurait loupé celui-là. Répéter en boucle qu’il fait plus froid que l’an dernier, on aura un vrai hiver cette année. Le dire en faisant semblant de frissonner. Parce qu’au fond on les aime nos hivers à -15 degrés qui transforment tes rues en une vraie station de ski. Regarder les enfants patiner sur les petits lacs du Tiegarten sous les saules pleureurs hypnotisés. Laisser le vélo et marcher dans la neige. Ralentir. Tout ralentir. Parce que le froid endort nos sombres pensées, la neige éclate et illumine nos yeux. Parce que le froid nous pousse à trouver l’essentiel. Descendre au restaurant du coin de la rue, y retrouver les amis qui n’habitent pas loin, partager un repas, un vin chaud, un chocolat et rentrer boire du thé à la maison. Se serrer contre soi. S’enlacer.

Novembre : Je pense aux dernières feuilles qui viennent de tomber. Au rouge sombre qui m’obséderait si je me penchais à ma fenêtre et regardais vers le sud, vers le parc, où le soleil serait caché derrière un voile de nuage froid. Je pense aux supermarchés qui ont sorti tous les chocolats de Noël, je nous entends nous plaindre, chaque année encore plus tôt, avant de dévaliser le rayon biscuits russes et autres spécialités de chez Lidl. Ça y est, la saison des raclettes peut commencer. Bastien et Romain, à La Käserie, sont débordés, je passe en coup de vent les saluer, et réserver une table pour vendredi. Les soupes sont enfin à la carte de tous les cafés, un thé au gingembre et une soupe carotte gingembre s’il vous plaît. J’entends ma langue qui crépite. On trépigne, les marchés de Noël n’ouvriront qu’à la fin du mois, il faut encore attendre pour une tasse de vin chaud et une Bockwurst. Currywurst pour toi ? Moi je vais peut-être me prendre un goulasch de rêne tiens ce soir. Il paraît qu’au marché de Noël de Gendarmenmarkt ils ont aussi des spätzle aux cèpes. On ira demain, tu finis le boulot à quelle heure ? Novembre, j’hésite chaque jour entre mes deux doudounes, parce qu’il fait froid oui, mais qu’à vélo il fait chaud. Chaud-froid. Plus je vais loin plus je me déshabille, le bonnet, les gants, je pédale, je pédale et le sang pulse, j’entends mon cœur qui bat fort et les gouttes de sueur qui dévale mon échine. Surtout ne pas ouvrir la veste, surtout ne pas ouvrir la veste, qu’importe la dose de gingembre quotidienne tu sais ce qu’il se passe les lendemains des jours où tu as ouvert la veste !

Décembre : J’ai ressorti les derniers gros pulls. Le jaune, col rond, en angora et le noir avec les gros poils. J’ai fait de la place dans une de mes boîtes pour mettre tous mes collants et mes bas. Ça y est, il faut compter 5 minutes de plus avant de partir, le temps de tout enfiler. J’ai encore craqué pour une paire de chaussettes bien chaudes chez DM ce matin. Et j’ai passé la matinée à faire de la soupe et à la congeler. Carotte gingembre lait de coco. Tous les matins je me réjouis de mon thé de l’avent. Oui j’ai fait comme l’an dernier, j’ai racheté le calendrier avec les thés. Trop bon. Enfin je n’ai pas hâte de tomber sur l’infusion à l’anis. Fenchel Tee, rien que le nom me donne la nausée.
Décembre, le mois des frustrations. Je guette la météo, si elle ne me plait pas je regarde une autre météo, je télécharge trois applications. Il pourrait neiger d’une minute à l’autre, mais non, les températures remontent, 4 degrés, 6 degrés, ah -2 lundi, mais c’est parce qu’il fait beau ! Il fait beau alors il fait froid, et il fait chaud parce que c’est couvert. C’est le monde à l’envers. On ne peut ni rester dehors prendre le soleil, parce que c’est un soleil qui ne chauffe pas, ni rester dehors en attendant la neige puisque sous les nuages il fait trop chaud. Humide. Le pire de la météo. Alors je noie ma déception chaque soir avec du vin chaud. Ça y est, les marchés ont ouvert. Samedi j’irai à celui du Klunkerkanich, qu’il neige ou non, il n’y a pas de saison pour aller te contempler d’en haut. Panorama à 360 degrés, petites choses faites main, et dire qu’à Paris on paierait 15 euros (au moins !) pour accéder à un endroit comme celui-là. Décembre. 10 décembre aujourd’hui. Tu me manques, tu me manques atrocement. Je n’aurais pas fait les marchés de noël cette année. Je n’aurais pas frissonné sur mon vélo, je n’aurais pas râlé à l’idée de repartir de chez Mathilde, Lucie ou Chloé dans le froid, « venir ça va mais repartir fouuu j’ai la flemme ! » Et puis j’enfile mes gants, j’enfile mon bonnet de laine, celui avec le pompon, je mets mes écouteurs, j’enroule ma grosse écharpe, je mets mon jean dans mes chaussettes, aucun centimètre de peau ne dépasse. Je sors sur le trottoir, brrr, je détache mon vélo, l’enfourche et… Il suffit d’une bonne musique, alors je souris. Mes yeux pleurent et ça pique sur les joues, ça pique au coin des yeux mais souvent je souris. En arrivant j’ai chaud, j’ai transpiré dans mon pull en laine, enfin… Dans mon débardeur heat tech uniqlo sous mon tee shirt sous mon pull en laine. Dans une semaine je serai chez mes parents. Il fera chaud. Il fera beau. Pour nouvel an on trinquera avec une bonne bouteille que mon père aura choisie à la cave. Un bagnouls peut-être, c’est bon le bagnouls. Et je penserai à tes lumières, tes couleurs, je penserai aux explosions, à la joie des milliers d’enfants, des millions de gens qui seront sortis dans les rues pour allumer leurs fusées. Je continuerai à dire, oh non Berlin le 31 quelle horreur, alors qu’en vrai j’adore. Mais comme je le dis toujours, je reste à condition d’avoir accès à un toit et d’être en sécurité enfermée à double tour à partir de 16h00. Et pas à Kreuzberg !

Janvier : je n’aurais plus que 5 jours à attendre. Les rues auront été nettoyées, les marchés auront fermés. Je reviens au pire moment c’est ça que tu me dis ? Je m’en fous. Je m’en fous. Je ferai ce que j’ai dit. Je me lèverai avec le soleil, je me coucherai… Pas avec le soleil parce que 15h55 c’est un peu tôt quand même. J’irai à la piscine, un sauna par semaine, je m’inscrirai à la salle de sport pour pouvoir faire tout ça au même endroit, celle qui est juste en bas de chez moi. Je récupérerai mon vélo, j’espère que Claude en aura pris soin ! Et puis je vais tout changer. Encore, oui je vais bouger tous les meubles, refaire toute la déco, je vais appeler Malte, il a l’habitude, on rira de mon incapacité à percer droit. Je lui ferai du café. Je me ferai un chai latte.

Amuse-toi bien en cette fin d’année. Pardonne-moi d’avoir douté de mon amour pour toi. Pardonne-moi parce que je douterai toujours. Je ne sais pas me poser. Je suis nulle en amour tu le sais… Sache en tout cas qu’à chaque fois que je parle de toi j’ai des étoiles dans les yeux, je suis chiante parce que je ne fais que parler de toi, pire qu’une adolescente amoureuse. Pire qu’une adolescente amoureuse.

Le 5 janvier je serai là. Moins d’un mois hey ! Moins d’un mois.

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Auteur·e

julietirard