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Transpirer le monde

Est-ce que c’est ça l’angoisse de la page blanche ? J’ai toujours cru que c’était quand on n’avait plus rien à dire. Moi j’ai beaucoup de choses à dire. Enfin l’impression d’avoir beaucoup de choses à dire. Le problème c’est que je n’ai plus la force d’écrire. Plus envie ? Mon Dieu que c’est triste. Ce matin j’ai allumé mon téléphone pour m’aider à me réveiller, comme d’habitude, m’aider à ouvrir les yeux. Et puis il y avait ce post de cette copine journaliste. Qui expliquait pourquoi elle écrivait. Une envie, un besoin, une habitude depuis l’enfance, un moyen d’expression incontournable. Chaque mot, chaque virgule aurait pu être de moi. Sauf que ça fait des mois que je n’écris plus. Que j’écris peu. Tristesse. Pourquoi ? J’ai mille idées. Parce que je me suis faite bouffer par la vie digitale, déjà. Qu’au lieu de m’ennuyer et de laisser mon imagination faire le travail, j’actualise mes mails en permanence. Dans les transports, dans la rue, aux toilettes, tout le temps. Qu’au lieu d’écrire sur la beauté d’un rayon de soleil, le bonheur de s’allonger dans le sable après de longs mois d’hiver, au lieu d’écrire sur l’homme au chapeau haut de forme que je surprends à déambuler sur le toit de mon immeuble, j’en fais des posts Instagram. Pourquoi je n’écris plus ? Parce que mon boulot c’est d’écrire. Que j’écris sur des coupe-oignons et des friteuses professionnelles, sur des assurances automobile et des plantes en pot. Que je traduis les mots des autres. Et que je n’ai plus la force d’écrire ce que moi j’aimerais dire. Parce que je ne prends pas le métro mais que je pédale, difficile d’écrire dans ces conditions. Parce que je me mets la pression partout : acheter moins de plastique, consommer régional, soutenir les commerçants de mon quartier, fringues déjà portées, cuisiner mes lunch box du midi, manger moins de viande, pas de sucre, être une bonne amie, une bonne fille, une bonne coloc, une bonne petite amie. Alors rajouter ça à la liste, écrire, c’est trop. Et puis parce que parfois, souvent, mon niveau de confiance en moi frôle le zéro. Si j’avais vraiment du talent, si j’intéressais vraiment des gens, je ne me poserais pas ces questions… Si ? Ni 100% blogueuse, ni 100% journaliste, ni 100% copywriter, ni 100% traductrice, je me délite en pourcentage et tout ça me fatigue. Cercle vicieux. Louer un bureau pour séparer les choses. Se concentrer sur ça et pas sur ça. Réduire les pourcentages. Et bam voilà que se pose la question de l’argent. Du temps libre. Et il fait beau dehors… Mille raisons de ne pas écrire. Et en face mille raisons d’écrire. La principale ? Parce que ça me fait du bien. Écrire me fait du bien. Raconter des histoires, raconter mes histoires. Qu’importe le nombre de lecteurs et de lectrices, qu’importe que les moindres détails de mon existence se retrouvent archivés sur le net. Chaque vague d’émotions, chaque déception, chaque joie qui entrave mon corps, une fois en mots une fois postée une fois livrée aux internets c’est un poids de moins sur ma poitrine. Des mois que je n’écris plus que je ne mets plus rien en mots et la boule gonfle et gonfle en moi il faut changer cela. Temps de changer cela. Alors on fait quoi : on s’impose un horaire, un nombre de textes ? On crée une rubrique Jule’s mood sur le magazine, on réinvestit le blog ? On coupe Instagram, Facebook, Twitter, on fait quoi ? On achète un sac à dos plus grand. On y emporte l’appareil photo, le micro. On coupe internet, on vit le monde, on traduit le monde, on transpire le monde oui, on transpire le monde.

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julietirard