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T'aimer de loin

Tu m’as dit « Grimpe » j’ai dit « hein ? » tu as dit « grimpe » et tu as appuyé sur la pédale. Je t’ai regardé t’éloigner, j’étais saoule. GRIMPE. J’ai couru, j’ai sauté sur le porte-bagage. Je me suis accrochée à ton pull. Je n’ai su résister à tes hanches. Mes jambes pendaient sur le côté dans la nuit il est quatre heures du matin tu me ramènes à la maison. Devant nous les amis pédalent et boivent on rit. On prend toute la place toute la route j’ai peur qu’on nous voit j’ai peur qu’on se prenne une voiture tu es mort saoul mais tu pédales tu m’as dit « je te ramène » et tu me ramènes je suis assise sur le porte-bagage je m’accroche à toi je souris je ne vois pas la route mes jambes pendent sur le côté j’ai peur. J’ai peur et je ris. C’est la plus belle nuit le plus beau moment que je vis depuis… Depuis.

Je sais que tu te sens seul tu l’as dit à B. l’autre jour. Je sais que tu te sens nul, inutile, que ta vie n’est pas celle que tu aurais voulu vivre que rien ne va que ça fait des années que rien ne va et qu’à chaque pas en avant c’est mille pas en arrière et maintenant c’est la jungle et tu sais que jamais tu ne t’en sortiras. Mais moi je t’ai vu. Je t’ai vu je te vois je t’aime et j’aime l’effet que tu as sur moi. J’aime ton corps j’aime être contre toi. Quand je te vois je perds mes mots je ne sais plus quoi dire comment le dire les syllabes s’emmêlent et se confondent mais ce n’est pas important. Ce n’est pas important parce qu’on n’est pas fait pour parler toi et moi. On est fait pour se toucher. S’effleurer. Il y en a qui parlent de tout qui peuvent s’échanger des millions de mots pendant que nous échangeons des millions de frissons. Je ne connais pas grand chose de ta vie je ne me rappelle plus du nom de tes parents de tes frères et sœurs de tes amis je ne sais plus où tu as vécu toutes ces années mais je connais chaque pore de ta peau chaque muscle chaque poil chaque reflet et la couleur de tes yeux la profondeur de tes yeux chacun de tes cils ta langue. Eux je les connais. Tu ne me manques pas. Je ne pense jamais à toi. Mais quand je te vois… Quand je te vois. Je n’ai pas su pourquoi tu me remerciais l’autre jour. Maintenant je comprends. On ne s’est pas embrassés ce soir-là. On n’a pas baisé on n’a rien dit. Tu as compris que je n’étais pas libre que je ne serai plus jamais libre qu’un autre avait mon cœur et moi je n’ai rien fait pour te reconquérir. On s’est frôlés. On a laissé les autres nous regarder du coin de l’œil un brin inquiets un brin charmés. Toi et moi les deux morceaux brisés du même miroir. Toi et moi côte à côte un puzzle en 2 pièces. Facile à faire facile à recoller. Tu as passé un bras autour de mes épaules, autour de mes hanches, tu m’as proposé ton écharpe quand j’ai eu froid, tu m’as raccompagnée à la maison tu m’as serrée contre toi. Je t’ai serré en retour. Fort. Longtemps. J’aurais voulu t’embrasser j’aurais voulu te déshabiller j’aurais voulu te dire de monter te faire l’amour contre le mur de l’immeuble c’est faux je n’ai rien voulu de tout ça toi et moi on ne fera plus jamais ça parce qu’on sait ce qu’on est on sait ce qu’on n’est pas. Toi et moi on est fait pour se frôler. Se faire vibrer habillés. Se faire du bien se sourire. S’aimer de loin. S’aimer de loin.

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Auteur·e

julietirard