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Parce que je suis une spirale

©Le Berlinographe

Cercle : ensemble C des points M d’un plan euclidien tels que ΩM = R, où Ω est un point fixe appelé centre, ΩM la distance euclidienne de Ω à M et R un réel positif donné, appelé rayon. [On note en abrégé C(Ω, R).]
Soit : courbe plane fermée dont tous les points sont à égale distance d’un point intérieur appelé centre. (Larousse)

Je suis un cercle. Je suis l’oiseau qui chante sur la branche quand vient l’été. Je suis l’oiseau qui frémit sous les rayons de ce premier soleil. L’oiseau là, sur la branche de l’arbre près de moi, qui chante au-dessus de ma tête, me fait de l’ombre. Douce ombre délicate de ce premier jour de printemps. Pas d’écharpe, pas de gants, pas de veste non, un pull et un thé, il est treize heures, je prends mon petit déjeuner, en terrasse, Graefekiez. La brise est chaude. Incroyable magie du printemps qui s’annonce.
Je suis un cercle. Je suis l’oiseau qui chante sur la branche quand règne l’été. L’oiseau qui grossit quand vient le gris. Rentre sa tête dans ses plumes. Attend. Attend que revienne l’été. Pour chanter à nouveau. Obéissant à un immuable. Attiré par son destin. Attiré par ce point intérieur, ce centre. Qui l’aspire et le maintient à distance. L’oiseau suit les saisons, les saisons partent et reviennent. Les saisons se succèdent. Tournent. Et l’oiseau tourne avec elle. L’oiseau est sur le cercle. L’oiseau est le cercle.

Spirale : courbe plane que décrit un point M, dont la distance ρ à un point fixe O croît ou décroît, en même temps que croît , où [O x) est une demi-droite fixe. (Autrement dit, ρ est une fonction monotone de θ.)
Soit : suite de circonvolutions, d’enroulements. (Larousse)

Je ne suis pas un cercle. Je suis une spirale. Ça sonne moins bien déjà. Ça ne sonne même pas du tout. Je suis sur une spirale. Pas stable comme truc. Une spirale. Pas stable une spirale. Ça ressemble à un cercle. Mais en moins stable.
Je suis une spirale. Je suis l’arbre sur lequel se pose l’oiseau. Je suis l’arbre qui accueille l’oiseau. Son arrivée comme son départ. L’arbre qui accueille l’été, l’hiver. Qui les accueille. S’en souvient. Les connaît, les reconnaît, leur obéit, prend des risques. Prend le risque de geler parfois, de se dévoiler trop vite, prend le risque de s’assécher, de crever. Prend des risques, en connaissance de cause, sans bouger vraiment. Observe. Je suis l’arbre qui observe, grandit. Et chaque année se fait courbe. Une autre courbe. Encore une autre. Je suis l’arbre. Celui qui vit toujours la même chose mais jamais de la même façon. Qui apprend. Comprend. Affine. Je suis une spirale.

Pas d’écharpe, pas de gants. Juste un pull et un thé. Il est treize heures, je suis assise sous la brise chaude et la caresse d’un soleil brûlant. Le printemps s’annonce et je ne m’en émerveille pas. Parce que je ne m’émerveille plus de ce que je connais déjà. Je m’émerveille du détail. Je me fous du soleil qui brûle et de la brise chaude. Je me fous de ce thé au gingembre, de la rue qui s’anime, des sourires des autres. Spirale. Et pour tout dire je me fous de lui. Je me fous qu’il soit dans ma vie. Ici ou ailleurs quelle importance, un homme, un autre. Le printemps qui revient, toujours. De ces choses circulaires qui seront toujours là, qui me passent devant le nez à une distance Ω plus ou moins longue. Je suis le centre, il est le M. L’autre était A, l’autre T.
Je me fous de tout ça. Et pourtant je souris.

Parce que je suis une spirale. Et ce qui m’intéresse n’est ni ce qui a été, ni ce qui sera, ni même vraiment ce qui est. Ce qui m’intéresse c’est ce qui est et qui n’était pas là la fois d’avant. Spirale. Croissance et décroissance. Je mûris.
Je me fous peut-être de lui mais je ne me fous pas de ce que je sens quand je suis avec lui. Je me fous de ces sourires soleil que je lui offre, je ne me fous pas de mon sourire quand j’entends sa voix à 8 396 km de moi. Parce que c’est un nouveau sourire. De ces sourires apaisés que je ne connaissais pas. Je ne me fous pas de ce sourire apaisé qui m’accompagne sous la douche. Qui m’accompagne toute la soirée. Qui m’accompagne encore à treize heures, Graefekiez, petit-déjeuner.
Je ne me fous pas de ce calme quand je pense à lui. Cette absence de larmes. Cette absence de frustration. Je ne me fous pas de ce qu’il me dit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il voit. Je ne me fous pas de lui. Je m’intéresse à lui, parce qu’il n’est pas moi. Nouveau. Ne me moque pas de lui quand il n’est pas moi. Nouveau. Ne me moque plus de moi, je crois. N’utilise pas ses yeux comme miroir, ses mains comme fenêtre, ne l’utilise pas. Nouveau.

Je suis une spirale. Je grandis. Je suis ce point M, je décris une courbe plane, je danse, je danserai encore, toute ma vie, écrit sous ma peau ça aussi, je plane aussi c’est vrai, je m’éloigne de ce point fixe, dans un sens ou dans l’autre, mais quoiqu’il arrive je mûris, toujours, danse autour de ce point fixe, mon cœur, mon arbre, cet arbre de l’éternel, connaissance et vie réunies, je danse, m’éloigne, tourne et retourne, danse autour de cet arbre immobile et vivant à la fois, mûris, attrape ses fruits, profite, vis et grandis. Et dans mes voiles des points, des oiseaux sur des cercles, des lettres.

Quand les cercles se croisent et s’emprisonnent, ensembles fermés, la spirale tourbillonne et frôle, ouverte. Toujours ouverte. Toujours libre.

Je suis une spirale et j’aime danser sur la sienne. Etre un point de la sienne. Découvrir des sourires depuis cet autre bout du monde.
Fais-moi danser, encore, fais-moi sourire oui, fais-moi sourire.

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Auteur·e

julietirard

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