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Sortir de l'eau

Ce n’était pas le confinement. Ce n’était pas le virus. Ce n’était pas la peur, la crainte, l’envie de m’épargner les litanies anxiogènes. Ce n’était pas les autres, la peur de la peur des autres. Des discours des autres. Des réflexions philosophico-politiques des autres. Du quotidien des autres. J’ai tout coupé. Supprimé Facebook du téléphone. Le Monde, Focus, Spiegel. Tout coupé. Désactivé les notifications WhatsApp, Messenger, Telegram, Workplace. Coupée du monde. Loin de lui. Et j’ai ri. Depuis le premier jour je ris. Je répète à l’envi « le confinement j’adore, c’est le monde qui se met enfin à mon rythme ». Plus de sorties. Plus d’obligations sociales. Plus de métro, plus de rendez-vous, plus de bises. Plus de small talks. Je souris, je souris, je souris. Mais ce n’était pas cela. Ce rire qui dit « j’adore », ce rire depuis le début sonne faux. Bizarre. Clochette fêlée. Inquiétant. Et ce sourire. Inquiétant. Cette énergie qui fait danser, équilibre sur un pied et grands chassés dans l’appartement. Inquiétante. Cette lumière aveuglante, j’irradie. On n’irradie pas comme ça pour une histoire de confinement. On ne rit pas comme ça. On ne danse pas comme ça.

C’était toi.

C’est le train qui s’arrête brutalement et moi qui en profite pour sauter du wagon. C’est le monde qui s’arrête et moi qui cours jusqu’à la plage. Vite, très vite, qui me jette à la mer et qui nage avec toi. C’est le monde qui s’arrête et moi qui fuis. Trente-trois jours que nous nageons ensemble. Mon téléphone ne sonne plus. J’ai tout coupé, tout supprimé. Et cette fois, le monde ne vient pas me chercher. Le monde est confiné. Personne pour me ramener à la surface. Me traîner sur la plage. Me sécher. Me ramener au wagon, dans le train jusqu’à la prochaine halte. Personne. Alors toi et moi et nos bras emmêlés, et l’eau sur nos peaux nues, et le sel dans nos bouche, et nos doigts, et nos yeux grand ouverts, et ta voix dans mes oreilles le soir. Matin vibrer, journée écrire, et puis minuit mourir d’amour.

Sauf que cette nuit brusquement, la main sur ma poitrine, je ne respire plus. Les muscles dans mon ventre, si tendus que je ne respire plus. Il est cinq heures du matin et je viens me chercher. Je suis cette main qui me traîne hors de l’eau et cette voix qui hurle « ça suffit, dis au revoir maintenant, on rentre, tu es glacée ». Je tente de respirer, de gonfler mon ventre, mais ça fait mal et sous mes doigts je sens mon coeur paniqué qui s’emballe. « Vous avez de la chance, votre instinct de survie vous sauvera toujours ».

Alors je me sauve.

Ce matin, les lèvres bleues, les ongles bleus, la peau blanche de sel et la mâchoire qui tremble, enveloppée dans deux couvertures, je t’écris en retenant mes larmes. Je dis « pause ». Je dis je dois rentrer. Je ne sais pas quand je pourrais revenir nager. J’espère que tu seras encore là. J’espère que tu pourras m’attendre.

Midi. Assise à la fenêtre du monde, le train n’a pas repris sa marche. Je regarde la mer. Tu n’as pas encore vu mon message. Tu penses encore que tout à l’heure on ira nager. Je voudrais courir, m’enfuir à nouveau, te rejoindre et sauter dans tes bras mais cette main, fermement, me retient. Je me retiens. Je voudrais hurler de douleur autant que je voudrais hurler de colère. Je manque d’eau autant que je manque d’air. Ce sont ces entre-deux les pires. Entre deux moi. Ne plus savoir quoi faire ni que ni qui choisir. Attendre dans la faille, entre les plaques.

Alors écrire, écrire, toujours écrire.  

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Auteur·e

julietirard