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Quinze ans

Avec toi j’ai quinze ans. L’obsession des quinze ans. L’envie de te rejoindre au bout du monde. Prendre l’avion pour un déjeuner et revenir. Porter du rouge. Tous les jours. Acheter un billet, embarquer, écrire I’m here, dans ce café que je connais, que tu connais aussi, nous étions voisins autrefois, nous ne nous savions pas. Partager des musiques, des playlists Spotify. J’ai quinze ans je voudrais créer des playlists Spotify. T’envoyer des films, des titres de films, tous ceux qui m’ont fait pleuré qui m’ont fait rire. Je fais la liste des livres que j’aimerais t’envoyer, j’achète des livres que je ne t’envoie pas, je prépare les enveloppes mais ne les poste pas, j’ai quinze ans.

J’achète des livres que j’aimerais t’envoyer pour que la nuit ils veillent, qu’ils veillent sur toi, qu’ils te protègent. La liste des cartes que j’aimerais t’envoyer les mots que j’aimerais t’envoyer les messages, j’allume mon téléphone sans arrêt. J’ai quinze ans et le cœur qui bat fort. J’ai quinze ans et la peau qui tremble. Avec toi j’ai quinze ans. Je suis égoïste insupportable je ne pourrais parler que de toi, ceux qui ne te connaissent pas ne comprennent rien, je voudrais écrire et lire. Toi. Au concert j’imagine, je t’imagine, dans l’avion le regard rivé vers le nord je te vois sans te voir, je t’imagine imagine atterrir là-bas, je vois le bras de mer, je vois l’île, le regard vers le nord j’ai quinze ans, atterrir repartir, te surprendre pour le déjeuner, repartir, je pense à toi. Tout le temps.

Je pense à toi. Je pense j’ai quinze ans quelles conneries ont fait à quinze ans et qu’est-ce qu’on est vivants. Si mal de te savoir si loin et de ne rien pouvoir, et de ne rien savoir, de n’être rien, rien d’autre que l’image, j’aime être une image, je veux être ton image, je suis ton image et tu tombes, je tombe, je tombe pour ton image, nous ne nous connaissons pas. Au téléphone tu dis but if I et si tu ? if I oui, soon, quand ? soon, mais à quelle occasion ? et si je, but if you, ce ne serait pas, ce ne serait pas too, oui sûrement, ça ne le devrait pas, il ne faudrait pas, emotional. Too emotional. Non.

On irait boire un café rien de plus, car je ne te connais pas et tu ne me connais pas. Et quand la musique s’élève de la Kamermusiksaal ce soir je pense, j’imagine ce fameux when, ce fameux where, ce conditionnel si présent, si proche, je ne te lâcherai pas. Je ne crois pas que je pourrais te lâcher, je ne te lâcherai pas, tu penses à moi.

Tu penses à moi la nuit, tu m’imagines, won’t it be too emotional ? parce que tu as peur, I could fall, tu dis tu dois te protéger, for you I could, I fall, alors si je viens, si tu viens, on ira boire un café juste un café. Car celle que tu embrasses la nuit est une image. Celui qui me tient dans ses bras une image. Images. Qui disparaissent avec la montée du jour, le feu s’éteint, le feu s’éteindra tu verras. Mais s’il ne s’éteignait pas ? Tu dis si je viens et que tu es là, si je te donne l’adresse de mon hôtel, si tu passes me chercher, si tu écris I pick you up et si tu es là, et si je te serre dans mes bras et que le feu n’a pas fini de s’éteindre je pourrais tomber. You could fall. J’ai peur que nos doigts, jamais ne se décrochent.

Alors on courra. On courra sous la pluie cette fois je n’aurais pas de parapluie on courra. On s’enfermera dans un théâtre une salle de spectacle un cinéma. On respirera vite parce qu’on a couru et parce que le feu consume. Sans oxygène, toi et moi sans oxygène, le cœur trop fort on pourra tomber, oui, alors on court, on court à nouveau à travers les parcs et dans l’herbe humide du mois de mars et près de la Spree et du canal et dans le S-Bahn on court, on ne s’arrête plus de courir et dans le vent qui hurle j’entends ton rire derrière moi et le vent renforce le feu et le feu crépite et ça fait mal et du bien à la fois on a quinze ans et on court vite, on court fort, on pourrait tomber, on pourrait tomber.

On pourrait tomber.

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Auteur·e

julietirard