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Parce qu'on a tous nos forces

Rester floue… Moi je ne sais pas rester floue.
©Le Berlinographe

J’ai déplacé mes meubles, acheté une table basse, c’est bon d’être chez soi. J’ai flâné au marché, mangé un falafel, c’est bon d’être chez soi. J’ai ramassé mon cœur, regroupé les morceaux, Berlin les recollera. Confiance en elle, confiance en vous, les filles qui débarquez ce soir, la colle à la main. Alcool à la main. Musique !
Marie parcourt mes vinyles, Léa remplit nos verres. Je caresse le tapis du bout des doigts. Coup d’œil autour de moi. Sentiment rassurant d’un chez-moi qui m’embrasse, me protège, nous réchauffe dans la tempête. Il y a du vent à Berlin. Et du vent sur nos cœurs. C’est bon de vous voir mes belles…

Premier verre. Beatles.
M : Dis-moi Jule, j’aime bien hein, ce n’est pas le problème, mais t’as pas l’impression d’avoir loupé une ou deux décennies dernièrement ? Le tourne-disque, l’appareil argentique, les meubles en osier, le téléphone à cadran…

Coup d’œil autour de moi. Pas faux. Trois gamines dans le grenier de mon père. Je souris. Voilà peut-être la raison de mon bien-être ici. Je peux me blottir contre chaque être immobile, me laisser bercer par leur histoire. Berlin aussi fait cet effet-là.

Deuxième bouteille. Gainsbourg.
L : 2014, année érotique ? On n’est pas trop mal parties jusque-là non ? Je te l’accorde Jule, bien parties mais mal arrivées. Toi et Thomas, moi et Jan…

M : Vous êtes allés trop vite aussi ! Bon je dis ça, mais moi avec Stéphane ça va à deux à l’heure et c’est pas mieux.

L : Venez en soirée avec nous la prochaine fois plutôt que de boire des coca à Prenzlauer Berg. A sportifs sérieux, soirées de vieux !

M : J’ai un semi dans trois semaines ! Et j’ai une vie moi. Qui rentre à pas d’heure restera chômeur !

Certes. Et qui cherche la passion ne trouvera que des cons. On a toutes nos faiblesses.

Cinquième verre. Nina Simone. Non les filles. Pas Nina Simone. Celui-là est à Thomas.
Boby Lapointe.
M : Avaniiiiiie et Framboiiiiiiiseuh sont les mamelles du destin !

L : T’es sérieuse là ?

M : J’écoutais ça dans la voiture de mon père quand on partait l’été dans le Sud ! By the way c’est Jule qui a le vinyle je te signale, je ne fais que savourer ma madeleine !

C’est vrai. Aucune excuse. Boby c’est ma madeleine aussi. Et puis franchement Boby Lapointe c’est un truc de connaisseurs, un truc qui rapproche. Chanter Aragon et Castille à plusieurs en fin de soirée ça crée des liens ! Il a du bobo Léon, en canon, ça vous crée un réseau !

Troisième bouteille. Souchon.
M : C’est Berlin le problème. On cherche des mecs bien, qui ne se droguent pas, alcool et cannabis compris bien sûr, et qui ont un boulot stable. Clairement on s’est plantées d’endroit.

L : On « cherche Jésus en enfer », dixit Cross. Non mais c’est les mecs aussi. Avant trente ans ils veulent juste s’amuser, et après trente ans ils paniquent parce qu’ils se disent que tu vas être la mère de leurs enfants, donc pas intérêt à se planter de fille.

M : Du coup les mecs de plus de trente ans cherchent des filles de moins de trente ans pour un truc pas sérieux. Sauf que nous on veut du sérieux, on a toujours dix ans d’avance sur eux. Ils devraient taper dans les moins de vingt ans !

L : Ou pas.

M : Bref. Ils devraient arrêter de nous faire chier. Faut jouer la distante, mais faut les rassurer, faut leur donner un peu, mais surtout pas trop, faut pas trop en demander, mais être dans le besoin, dépendantes d’eux mais indépendantes sur tout le reste…

L : et surtout rester floues !

Rester floue… Moi je ne sais pas rester floue. Moi je ne peux pas rester floue. Je suis une passionnée, je pense avec mon cœur, suis mon instinct, incapable de mentir ne serait-ce par omission. Je dis tout. Je ressens trop. Tu es beau. Je manque de tes mains. J’adore tes doigts sur ma peau. Ta voix me berce. J’aime te faire rire. J’aime te séduire. J’ai rien sous ma robe. Non je ne ressens pas trop ! Je ressens c’est tout, et c’est beau ce que je ressens. Quand c’est beau avec l’autre ça ne doit pas se taire, ça ne doit pas se cacher. Tu me plais. Je te veux toi et personne d’autre. Ta barbe me pique. Mords-moi. J’ai envie de toi. J’adore avoir envie de toi. Que c’est bon d’aimer ! Que c’est bon de tomber amoureux ! Parler pendant des heures dans les draps, nus dans les draps, découvrir ta musique. Découvrir ton univers, t’initier au mien. Bien sûr que je veux savoir comment s’appelait ton chat ! Tu me fais rire. Pourquoi attendre pour se dire ça ? Qu’est-ce qu’on attend bon sang ? De savoir si c’est la bonne personne ? Si on va avoir mal ? Mais bien sûr qu’on va avoir mal ! Et bien sûr que c’est la bonne ! Parce que c’est la bonne maintenant. Maintenant et pas demain. Profitons, profitons ! Qu’on se quitte dans six mois, trois ans, vingt-cinq ans qu’est-ce que ça change ! On aura mal un jour, oui, peut-être, mais on aura bon maintenant, et demain. Des frissons, des papillons, des étoiles dans les yeux, des rires d’enfants, des orgasmes à en pleurer d’émotions, parce qu’on se laisse aller, parce qu’on tombe amoureux, parce qu’on se fait confiance.
Pour ça je déteste vieillir. Mes amours à vingt ans ne jouaient pas à faire semblant. On s’aimait dans l’instant. C’était bon. Ne me demandez pas de changer ! Je suis une passionnée oui, et fière de l’être. Tant pis si mon cœur doit se briser encore et encore sur vos questions d’ego, sur vos manques de confiance, sur vos doutes cérébraux. Réfléchissez, prenez-vous la tête à deux mains, pendant ce temps moi j’aime. Moi j’aime.

Quatrième bouteille. Asaf Avidan.
Si bon le grave du vinyle sous le diamant. Délicatesse d’une piquante caresse. Ma peau frémit sous les cris. Marie et Léa savourent. Mes belles, mes douces. C’est beau avec vous. Confiance partagée. Et vos lèvres sucrées. Et vos lèvres sucrées.

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Auteur·e

julietirard

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