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Parce que je suis seule

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Quand mon vélo a percuté le sol, que mes mains se sont écrasées contre les pavés trempés, collés de sable, je n’ai pu retenir mes larmes. Elles dansaient au bord de mes cils depuis quoi, deux heures déjà ? Que me voulait ce type, qui s’est mis à me courir après dans le parc sombre. Si brusquement, si étrangement que mon cœur a sauté dans ma gorge et mes jambes se sont emballées, fuir, fuir, fuir, jusqu’à glisser, m’écraser sur les pavés et remonter vite en selle avant qu’il décide de reprendre sa course pour me rattraper. Que me voulait-il ? Entre mes larmes, au son de mes sanglots, cette question s’éteint bien vite. La peur est déjà loin. Mes démons sont déjà trop nombreux, trop grands, trop puissants pour qu’un homme, si grand soit il sous sa capuche sombre, si rapide soit il dans ce parc mal éclairé au milieu de la nuit, me fasse peur.

Je me sens perdue. Noyée. Ensevelie sous le poids des émotions. Je n’arrive plus à rien. Je tourne en rond comme un chat tourne en rond avant de s’effondrer. Je tourne en rond et je m’effondre en pleurant. Cette ligne droite : la question qui apporte une réponse, n’existe plus. Je me perds dans une boule de nœuds et de nerfs, une boule que je connais bien, que je pensais avoir vaincue. Comme on sort victorieux d’un casse-tête, d’un puzzle, d’une énigme. Vaincue. Et la voilà qui revient. Plus grosse, plus emmêlée encore. La tentation est grande de sortir le rasoir pour la faire disparaître, comme j’ai rasé ma tête l’autre jour. Mais je sais qu’elle reviendra. Elle repoussera. Comme mes cheveux repoussent. Il n’y a plus chez moi d’origine ni de conséquences. Seulement un grand vide, un gouffre sombre où personne ne peut me courir après car je suis seule, horriblement seule, un gouffre sombre, recouvert d’une toile d’araignée immense dont on ne peut tirer les fils, qui me maintient prisonnière. Seule. Horriblement seule. Plus seule encore que si je l’étais vraiment. Car je vois la silhouette de celui que j’aime là au-dessus. Je l’appelle pour qu’il m’aide, et il m’entend. Il me voit, m’envoie des mots, des fleurs, des baisers, me décrochera la lune si je le lui demande, en vain. Car au fond de mon gouffre je sens bien que tout cela ne sert à rien. Qu’il ne peut m’aider. Que je suis seule, horriblement seule. Et je sais que je serai probablement un peu moins triste si je ne voyais plus sa silhouette au loin. Quand on se sent si seule, cela fait sûrement moins mal de l’être vraiment.

Image d’illustration : « Down Columbia Ave » de Zhang. Licence CC

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Auteur·e

julietirard

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