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Parce que je suis duale

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©Le Berlinographe

Je suis duale. Je me rends compte ce soir que ce qui cloche chez moi c’est ma dualité. Ce qui a toujours cloché, devrais-je dire. Ce qui clochera toujours. Ma dualité. Mes multiples dualités. Pour ce soir, disons la personne et… l’autre. Je ne sais même pas comment me nommer. Personnage. Oui, personnage.
Duale emmêlée. A travers ma personne vit mon personnage. A travers moi passent ces sensations, émotions, intuitions qui se meurent en mots. Ces histoires, ces romans. Ces autres personnages. Tous nés de moi, de ma personne, m’arrachant une partie de moi, de ma personne. Je respire pour eux. Avance pour eux. Je suis leur femme, leur mère, leur pire ennemie.

Je suis duale. La personne et le personnage. Il y a quelques années, au temps du théâtre et des poèmes, tout était mélangé. Textes magnifiques, passion solitaire d’une noirceur merveilleuse, d’une profondeur abyssale. Mais on ne peut pas vivre longtemps ce genre d’état. Pas en Homme libre en tout cas. Alors j’ai séparé. Ma vie. L’écriture. Sans être parfaitement heureuse dans l’une ou dans l’autre. Parce que la réalité m’ennuie, je cours après l’émotion. Et je fais de ma vie des aventures. Et l’écriture m’avale, me bouffe toute entière, me recrache en sueur, en larmes. Pas viable.
Je ne suis heureuse que dans la fusion des deux. Quand l’émotion s’adresse aux deux. A la personne, au personnage. J’aime ça.

Avec cet homme j’ai connu ça. Une émotion duale pour un ego dual. Avec cet homme j’ai connu ça. Magie d’un instant parfait. Ecrite, décrite, vécue. Et qui ne sait revenir. J’y ai cru. J’ai espéré. J’y ai travaillé mais en vain. Cette émotion n’est plus assez forte pour remplir ma personne. Est-ce sa faute ou la mienne je n’en sais rien.
Cette émotion n’est plus assez forte pour remplir ma personne. Mon personnage lui se satisfait du décor, mais lorsqu’il me quitte et que je ne suis plus que « personne », je me noie dans cette trop connue solitude.
L’homme dort près de moi. Je ne suis donc pas seule, mais solitaire ça oui. Aux doux rêves amers.

Je suis duale. Mon problème c’est ma dualité. Heureuse dans la fusion de l’instant, mais condamnée à la continuité, pour l’éternité. De ces dons qu’on maudit. Du genre tragédie grecque.

Je suis duale. Je suis la mère de mon personnage, lui donne mon énergie, mon souffle, mon air, tout. Et j’oublie d’en garder, de l’air, de l’énergie, du souffle, je m’oublie. Sauf quand quelqu’un s’adresse à moi. Ma personne.
Cet homme s’est adressé à moi, ma personne.
Cet homme ne s’adresse plus à moi, ma personne.
Alors je devrais donner à mon enfant à nouveau, mais je réalise que je ne l’ai pas pris dans mes valises. Je suis venue sans lui, sans mon personnage. Je suis venue seule, en personne. Me nourrir moi. Ma seule personne.

Je suis là.
En terre étrangère.
Face à un étranger
Et meurs de faim.

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Auteur·e

julietirard

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