Crédit:

Pourquoi les gens se tiennent la main

main
©Le Berlinographe

Ces derniers temps je ne vois qu’eux. Je ne vois que leurs mains. A ces gens qui se tiennent la main. Ces « couples » comme on dit. Qui se tiennent la main en marchant. Quand je traverse le Hasenheide je les vois. Quand je marche pour aller au métro je les vois. Quand j’attends le tram je les vois. Leurs mains, leurs doigts qui s’entrelacent. Leurs sourires parfois, leurs silences, nos silences à lui et moi, qui nous tenons la main, parfois.
Je me demande si tous ces gens qui se tiennent la main sont aussi proches que leurs doigts dans ces moments-là. S’ils sont aussi heureux que je le croie. Si je dois les envier, les jalouser, s’ils me jalousent quand ils voient ma main dans celle de mon autre. Cet autre qui me fait tant de mal. Parce que dans la chaude lumière de ce mois d’octobre, quand il prend ma main dans la sienne, je ne suis pas sûre d’être si heureuse que ça. Je ne suis plus sûre d’être si heureuse que ça. Je sens le noir qui m’envahit, refroidit cette chaude lumière d’automne. Frissons glacés. Dans la chaude lumière de ce mois d’octobre, quand il prend ma main dans la sienne, cette proximité de peau ne fait que souligner l’éloignement qui me torture. Consume cette flamme née d’un mois de juillet trop chaud. Quand il me tient la main, j’entends tous les désolés de ses regards. Quand il serre mes doigts, mes os craquent pour rompre le silence de nos cœurs blessés. Et quand il lâche ma main alors là c’est le vide, le gouffre qui m’aspire, la solitude qui coule sur ma nuque, glisse le long de ma colonne vertébrale, et mes larmes chutent sur le sol rougi par l’automne. Pourtant, peut-être qu’on nous jalouse quand nous traversons le parc, parce que c’est vrai qu’on est beau tous les deux. On est beau tous les deux. Nous en riions en ce mois d’août bien trop chaud. Nous en riions. Mannequins pour jeans torrides. Publicités pour passion d’adolescents. Nous aurions pu vendre n’importe quoi si l’on avait immortalisé nos baisers sous l’orage, tremblants de désir au bord du canal, trempés de pluie. Si l’on avait photographié nos rendez-vous secrets, cachés dans les placards du restaurant à s’embrasser comme des fous dans les quelques secondes que nous nous accordions. Je ne me rappelle pas lui avoir tenu la main dans ces moments-là. La taille, les épaules, les hanches, toujours plus proches, sa peau dévorant la mienne, mais la main non.

Alors que font-ils ces gens qui se tiennent la main en traversant le Hasenheide, en allant au métro, en attendant le tram. Se retiennent ils comme ça, par la main, parce qu’ils savent, comme moi, comme nous, que les jours sont comptés ? Se retiennent-ils par la main pour ne pas voir que l’amour n’est plus, le mensonge seulement, de croire qu’il y a encore quelque chose de beau dans tout ça ? Dois-je les envier, les jalouser ? Ai-je encore envie de lui tenir la main à mon autre ? Arracher ses vêtements, l’embrasser follement dans le noir d’un placard du restaurant, tenir sa main dans la mienne. Tenir sa main dans la mienne. Serrer fort. Si ce n’est pour le retenir, pour lui dire qu’il peut être libre dans mes mains. Protectrices. Qu’il peut être libre dans mes mains. Qu’il peut pleurer dans mes mains, jouir dans mes mains, chercher le réconfort dans mes mains, la chaleur de mes mains, la douceur de ma peau, qu’il peut les prendre pour caresser sa peine, ralentir son cœur, qu’il peut les prendre, qu’elles sont siennes. Qu’elles sont siennes. Qu’elles sont seules aujourd’hui. Qu’elles ont mal.

Partagez

Auteur·e

julietirard

Commentaires