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Ma planète

 

Ma planète est grosse comme la Terre. Immense à mes yeux, à mes pieds, à mes bras. Impossible de l’enserrer.

Ma planète a été découverte par moi-même. Un jour de ciel clair, alors que j’observais la constellation du poisson, une étoile rouge sang s’est glissée en plein centre. J’ai emprunté le télescope de mon ami Sasha qui travaille au planétarium, et elle m’a paru si jolie que je m’y suis installée.

Ma planète est si grande qu’elle n’a pas une mais des odeurs. 

À l’Ouest elle a l’odeur de l’été, saveur sorbet, ça pique un peu le nez, ça creuse de grandes tranchées d’air pur, oxygène à fond les ballons, une odeur menthe glacée.

Au Nord et à l’Est elle a l’odeur de la mousse des crèches de Noël, celle récoltée sur les rochers calcaire, à l’ombre des collines, un peu rêche, asséchée par la chaleur de la cheminée, écrasée sous le poids des santons.

Et puis au Sud, pas au Pôle mais juste avant, elle a l’odeur des fleurs de frangipanier mêlées au sel de la mer sur la peau. Quand on gratte, du bout des ongles, les ondes blanches au creux de l’aine, au creux des seins.

Comme je ne peux pas la serrer dans mes bras ma planète, je lui ai tricoté une petite soeur. Tatouée à l’aiguille, pigments de sable et sève d’arbre. Ronde comme un ballon de basket et douce comme un doudou de nouvelle-née.

Sasha et moi ? On s’est rencontrés sur Terre, en mer, sous l’eau. J’explorais palmes et tuba les fonds turquoises d’une mer italienne. Il comptait les poissons depuis la coque d’un bateau trouée d’un grand hublot. Nos regards se sont croisés malgré la double vitre – le masque, le hublot -, attrapés, attachés, il m’a fait un signe de la main, j’ai souri, bu la tasse, sauvetage bouée, allongée sur le sable bouche à bouche puis langue à langue, corps à corps, et puis ciao, merci pour le coeur qui bat à nouveau.

Depuis j’ai dans l’oreille un grain de sable qui me murmure des souvenirs quand vient le soir.

Ce texte a été écrit le 3 août 2021 lors d’un atelier d’écriture donné à Berlin sur le thème « voyage interstellaire ».

Plus d’informations sur les ateliers d’écriture francophones à Berlin ici.

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Auteur·e

julietirard