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Parce que les loups sont des chiens

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©Le Berlinographe

Mon loup est revenu. J’ai croisé ses yeux bleus dans la nuit. Ce serait mentir de dire que je ne l’attendais pas un peu. Dernier étage d’une usine à Wedding. Un bar sombre et lumineux. Des néons, du feu aux fenêtres, et le S-Bahn aérien pas très loin, derrière les stores arrachés. Je discutais sagement, assise sur une palette en bois, je discutais niaisement, guettant nerveusement l’entrée noire. Ce gouffre dont il pourrait surgir à tout moment. Sans un bruit. Lui, seulement lui. Sursaute à chaque lueur que j’aperçois.  A chaque voix un peu forte qui s’exclame. Sursaute. Guette. Fatigue. 3 h 30. Le soleil éclaircit, le ciel devient gris. Il ne viendra plus.

Et il y a eu un bruit silencieux, une lumière noire. Un frémissement. Parce qu’à ce moment-là je n’entendis plus rien, parce qu’à ce moment-là ma peau se rétracta en un frisson sans fin, j’ai su que c’était lui. Pull noir sur jean noir sur visage sombre. Aura sombre. L’homme respire la mélancolie.

Je l’observai, dissimulée derrière la fumée de ma cigarette. Assise sur cette palette en bois, entourée de voix, le dos au mur, pull doré dans la lumière dorée du projecteur, cheveux relevés, dos nu, mur froid contre moi, brûlante, délicieuse inertie. Je l’observai à travers la fumée de ma cigarette, les yeux fixés sur lui, l’ai vu passer devant moi. A quelques mètres, de la gauche vers la droite, les saluer un par un, danseurs bourrés, DJ éméchés, dormeurs affalés sur les canapés de l’ombre. De la droite vers la gauche, à quelques mètres devant moi, sourire aux uns, passer sa main dans le dos des autres, des autres, rejoindre le bar, s’y appuyer pour commander un verre, se retourner, s’y adosser. J’écrasai ma cigarette au sol. Bouillante et glacée à la fois. Il m’avait vue, je savais qu’il m’avait vue, il m’avait vue dès qu’il était entré, assise en face de lui, riant dans la lumière dorée, volontairement riant, volontairement dorée. Bêtement lumineuse. Il m’avait vue et m’avait ignorée. J’entendais les murmures. Pourquoi ne venait-il pas nous voir, pourquoi restait-il au bar. Oui pourquoi tiens, pourquoi restes-tu au bar connard ? Et les frissons d’excitation disparurent. Sueur froide, glacée, enragée. Plus de fumée, mes yeux toujours fixés sur lui, des éclairs non, des balles, des flèches, des bidons d’essence enflammés jetés sur lui. Sur lui ce chien, clébard aux vêtements poussiéreux, grisâtres tout au plus. Adossé au bar, marquant la musique de sa main, sirotant un cocktail transparent. Bois tiens, bois oui, bois pour que j’oublie. Que j’oublie avoir pensé un jour fondre dans tes yeux, approcher ma main de ta peau nue, me jeter sous tes crocs, que j’oublie avoir rêvé une nuit de tes morsures sur mon corps, ta violence dangereuse, partager cette noirceur, m’enfuir dans cette forêt avec toi. Que j’oublie. Parce qu’en réalité, comme tous les loups des forêts sombres tu n’es qu’un rêve, un fantasme, une vision, tu n’es qu’un chien. Un chien des rues. Un chien qui boit, un chien qui fume, un chien qui crève pour une ligne blanche. Un chien qui erre, s’affaire, s’enterre. Un chien qui ne respecte rien. Qui ne mérite aucun respect et surtout pas le mien. Un chien.

Mes yeux jaunes fixés sur son corps gris je me levai soudain. Traversai la foule. Poussai du bout des lèvres les ignorants sur le chemin. Arrivai au bar, à un mètre. M’appuyai contre. Ne commandai rien. Tournai lentement mon visage vers lui. Toujours immobile, toujours ignorant, imbécile. Franchis le dernier mètre. Ventre noué, mains crispées, souffle court. —-Salut.

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Auteur·e

julietirard

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