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Parce que je ne suis pas encore prête

hambourg
©Le Berlinographe

Je n’étais jamais sortie de Berlin par la route. Pourtant Dieu sait que j’aime le doux bruit du moteur, la sensation de chaleur, être transportée, passager, sans contrôle, se laisser porter, guider, emmener.
Le bus a démarré à 7 heures pile. Que dis-je le bus, le car, l’autocar, merveille de confort, ivresse de moelleux. Et moi à moitié endormie sur mon siège, finissant un cappucino froid, collant mon doigt aux miettes de pain au chocolat.
Enfoncée dans mon siège, en chaussettes, ma petite veste sur les genoux, mon casque sur les oreilles, le regard perdu dans le brouillard. On traversait les nuages ce matin à Berlin. Puis la forêt, alors je me suis recouchée en travers des deux sièges, comme j’ai toujours su si bien le faire, allongée en quinconce.

Je suis descendue à la Hauptbahnhof d’Hambourg sous un ciel bleu, un soleil d’or. On m’attendait comme prévu, m’a taquiné sur mes yeux clos et mes cheveux en bataille, je n’ai pas eu la force de sourire. Berlin amour, je reviens vite.
J’ai marché dans les rues, au bord de l’eau, sur la place de l’hôtel de ville, dans le jardin botanique de l’université, on m’a lancé un fruit en pleine tête, ennemi invisible.
-Hambourg ne m’aime pas. –Aber doch, Hambourg te trouve geil. – Mouais.
J’ai marché dans la Karolinenstr, flâné dans un marché aux puces, admiré les immeubles, la propreté des trottoirs, et m’y serais bien vue finalement dans ces rues propres, ces maisons de pierres sûres. J’ai pris un sandwich sur le port, emplie d’odeurs des docks, j’ai embarqué sur le ferry, débarqué sur la plage, marché dans le sable, impressionnée par ce port là-bas au loin, ses grues bleues, ses incroyables montagnes enferrées. J’ai contemplé ces villas de riches, m’y serais bien vue sur cette terrasse avec vue. J’ai écarté mes doigts dans le sable, j’ai pensé à Berlin, comme reposée. Alors coupable de flirter avec cette sœur du nord. J’ai été auf den Kiez, jeté un œil, ou deux, aux quelques prostituées, crié sur un connard et dansé dans un bar. Ou deux. Je suis rentrée à peine un peu ivre, me suis couchée sur mon matelas au sol, bouleversée.

M’y serais bien vue à Hambourg. Avec un grand appartement. Un homme. Un chat. Ou deux. Un vrai bureau, assise dans un fauteuil de bureau oui, pas sur un coffre en bois recouvert d’une fausse peau de bête Ikea. Avec une chambre, ou quatre. Plus grand quoi. Un travail peut-être, pas quatre. Une idée à la fois, pas mille. Un projet ou deux, un projet ou deux.

Hambourg, cette ville d’adultes, cette ville de grands, cette ville où on s’installe ensemble, où on boit des verres le soir avec les copains, où l’on ne saigne pas du nez, on l’on ne saigne pas des pieds à courir entre les tables, où l’on ne se brûle pas les doigts à la machine à café, où l’on n’enterre pas d’amis drogués. Une ville de grand. Loin du bordel de notre jeunesse éternelle, intemporelle, berlinoise. Une ville qui rassure, réconforte, où l’on se rend dans le confort d’un autocar, d’où l’on sort en BMW pour cueillir des champignons en forêt.

Une autre fois. Ce soir je rentre, ma jupe de service m’attend, mes textes, mon micro tendu, mes compagnons de flou, artistique ou non, dans cette bulle qui ne connaît pas le temps. Où l’on vit mille secondes à la fois, où l’on s’éternise dans le battement d’un beat, comme s’il durait mille ans. Mille secondes pour mille ans. Perdus dans le temps oui. Perdus pour longtemps.

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Auteur·e

julietirard

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