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Parce qu'on n'a plus dix-sept ans

Archive. Quand j'avais dix-sept ans, je m'allongeais avec mon amoureux au milieu d'un coeur dans le sable.
©Le Berlinographe

En regardant les nuages orangés à travers le hublot, je me demandais vers où mon crayon me guiderait le lendemain. Il était grand temps que je me replonge dans l’univers de mes histoires courtes. Un loup se détachant en violet des doux chagrins tortueux, je songeais à reprendre mon histoire d’A. J’avais terminé cette fois-là sur une once de suspense avec le « salut » de mon dernier billet. Mais au fond, tout le monde se doute bien que je lui ai foutu mon poing dans le museau à ce chien d’égout, et que ces yeux de braise, il pouvait bien se cramer la queue avec désormais.

Alors, le front contre le hublot, je me perdis encore un peu plus dans l’imaginaire de mon cœur, ce désert de pierres où naissent mes émotions trop fortes, celui où le désir se fait loup des steppes et la colère dealer mortifère. Celui où tout est vrai sans l’être. Emotions brutes.

Je sentis mon corps flotter dans l’eau trop bleue de ma piscine où j’errais la semaine passée. Le parfum de garrigue, les pins, le soleil trop blanc qui fait mal aux yeux, le soleil oui, seul à pouvoir m’allumer. Et cette jouissance d’y brûler, marchant pieds nus sur la route goudronnée. L’eau bien trop belle de la calanque, ses rochers de calcaire où s’abîmer la peau, le chant des cigales, ma prise de son ratée, signe qu’elles n’appartiennent bel et bien qu’à l’été.

Je songeais à ceux qui s’étaient montrés. Ma belle, ma douce, ma protégée de dix-sept ans, petite Boucle d’or devenue grande. Et à son amoureux. Je songeais à cette brutale nostalgie qui m’envahit soudain quand ces deux grands ados me rejoignirent sur la plage, main dans la main. Qu’est ce que c’est beau d’avoir dix-sept ans ! Qu’est-ce que c’est bon d’avoir dix-sept ans. Qu’est-ce que c’est simple, bon sang, d’avoir dix-sept ans…
Je repensais à mes galères, tous ces loups solitaires qui m’ont griffé le cœur depuis tout ce temps. Surtout, je repensais à l’homme qui fut mon amoureux quand j’avais dix-sept ans. Amour, ami, âme sœur, on croit à tout quand on a dix-sept ans. Confiant, amour toujours, plus belle des religions.

J’allumais mon téléphone quand l’avion se posa. Sept jours de silence prenaient fin. L’eau était grise maintenant, et elle tombait du ciel, ricochait sur le hublot. Quand l’écran s’éclaira, mon cœur tressaillit. Message. L’idiote que je suis s’emballa immédiatement pour A. Comme quoi on a beau dire, on ne contrôle pas. Mais celui qui attendait ma voix valait bien plus que cela ! Un gros poisson dites donc. Thomas ! Thomas. Thomas… Celui des feux d’artifice sur le toit. Celui qui m’envoya le rejoindre à l’autre bout du monde. Celui qui m’abandonna par surprise dans cet aéroport déserté, seule, suppliante, confiance et dignité à la main. Thomas. Qui voulait récupérer les vinyles sur lesquels nous avions fait l’amour jour et nuit cet hiver. Parce qu’il « y tient à ces disques ». Comme quoi la vie est injuste hein mon bonhomme ? On fait des choses, on les regrette, et c’est bien dommage tiens ! Thomas. Empereur au royaume des lâches et cons. J’envoyais un message assassin en souriant, riant presque. Une bonne histoire pour les copines à l’arrivée.

Je sortis de l’avion sous la pluie, le steward me prévenant de me couvrir. Pas besoin ! L’eau froide sur la peau nue me fit du bien. Doux rappel sur la terre ferme, dans ce monde où je n’ai décidément plus dix-sept ans.
Je franchis les portes de l’aéroport en respirant Berlin, consciente de ne plus croire en rien.

Je passais finalement sous terre, mon cher Tresor, histoire de trouver dans le noir le réconfort auprès de ceux qui ont fini de croire, surtout aux avenirs charmants dessinés par nos illusions de grands. Retrouver le confort du seul instant présent.

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Auteur·e

julietirard

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