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Dix-sept ans (confinement)

Frustration, mélancolie, crainte, beauté, soulagement, douceur, bonheur, tout est passé sur mes joues, tout passe sur mes joues, ce matin encore quelques gouttes. Autour de mes yeux les couleurs filent, emportées par le sel, sans doute. Cette petite tache blanche que je montrais au médecin il y a six ans a grandi, dans la première lueur je l’observe, ovale, elle grignote ma joue par touches impressionnistes. Sur ma gorge, ma poitrine, mes seins, le gauche surtout, les pointillés sont noirs, de nouveaux grains, beaux c’est vrai, surtout dans ce rayon de soleil qui les brunit. Je compte et constate. Souris car les contrastes. Plus noire ici, plus blanche là.

Depuis dimanche je danse ou pleure. Je ris, parfois j’ai peur. Respire en forçant, en gonflant, en wahrnemmant, je m’étire. Délicieusement. Je fais des équilibres sur les mains, les avant-bras, jusqu’à trembler. Épuise mon corps sur mon vélo, onze, seize, vingt-deux kilomètres, sans rien ressentir d’autre que la vie dans mes muscles, les contractions de mes muscles, je fais des détours pour revivre encore, toujours plus fort. Là l’hôtel, le parc, la promenade, ici la porte, le club, le bar le restaurant. Remonte les années les amants, je suis high. Je suis down. Instable. C’est délicieux et terrible à la fois, mais l’habitude. Je suis drôle. On rit. On rit beaucoup avec M. depuis dimanche et c’est bon de rire avec M., ça faisait longtemps. J’ai coupé les notifications du téléphone. Dans l’appartement je ne me déplace plus qu’en dansant. De grands mouvements, de lents chassés, équilibres sur un pied et retour. Dans ma tête je suis à Copenhague, à Shanghai, à Avignon, je suis la mer et la forêt, le frisson, je ne suis qu’un long frisson, partout. Qui vous prend, tous.

Confinée dans l’appartement, je suis l’appartement. Je suis le bois du sol, le feu des bougies, l’odeur du pain grillé, l’odeur du café qui adoucit mes réveils, l’odeur du café dans les mains de M. Je ne veux pas dormir pourtant je dors des heures, épuisée de trop vivre. Le soir je me douche à heure fixe, avant le dîner, j’enfile mon pyjama, j’ai sept ans. J’ai dix-sept ans. Et le cœur qui bat fort. Le soir, à la maison, la douche à heure fixe, le dîner, le film, les yeux rivés au téléphone : a-t-il écrit ? S’écrire jusqu’à minuit pour ne rien dire que des je pense à toi je pense à toi je pense à toi, j’ai dix-sept ans. J’envoie des bouts de peau, vingt-cinq selfies pour un bout de peau qui le fera sourire, on s’imagine ensemble. Des highs, des downs d’adolescente. L’instant absolument présent. L’insouciance. J’ai dix-sept ans et de mon monde je suis le centre. Ce soir on mange des frites devant Netflix. M. et moi, des frites, Netflix, les yeux rivés à nos portables. On va rire. On va rêver. On va aimer. De loin mais sans ciller. Demain huit heures le réveil, des heures ordinateur et puis le sport, la douche, le dîner, le film, les messages avec le cœur qui bat fort. Privées de sortie mais pas de sentiments. Clairement.

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Auteur·e

julietirard