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Comment, sous ma douche bancale, je me contente de chanter faux

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©Le Berlinographe

Tendue. Me voilà tendue. Tendue depuis trois nuits. Si seulement je pouvais contrôler mes rêves chaque nuit comme je contrôle ceux-ci. Encore que « contrôler » est un bien grand mot. C’est juste que je rêve de lui. De lui depuis trois nuits. Trois jours qu’il m’a écrit. Trois ans qu’on ne s’est pas vus.

J’ai pris un café, tendue. Autant dire que je ne l’ai pas avalé. Le trait de crayon sur mes yeux n’a jamais été aussi droit. Je l’ai malgré tout effacé, ma main, tendue, ne s’arrêtait plus de tracer. Et tendue je me suis engouffrée sous terre, quai du U7 direction Charlottenburg.

Que me veux-tu Thomas ? Trois ans sans nouvelle. Une relation de trois mois seulement. Et la certitude, oui je sais, qu’on se reverrait. Qu’on ferait plus que se revoir si le moment se présentait. Et voilà que le moment se présente.

Tendue sur mon siège mollasson, je m’efforce de suivre le défilement des stations. Mais mon esprit vadrouille. Et voilà que je me mets à sourire. Je pense à son sourire à lui. Et je souris. Je vois même mes dents dans la vitre.

J’ai rencontré Thomas il y a trois ans. C’était au restaurant, je n’y travaillais pas encore, je venais d’atterrir, littéralement, et y rejoignait Mathieu qui donnait un coup de main.

Thomas parlait français, nous avons sympathisé, nous nous sommes recroisés deux fois par hasard –par hasard ? les jours qui suivirent. Il entendit parler de mon emménagement à Kreuzberg, proposa un coup de main, j’offrais une bouteille de rosé dans un Biergarten près du Zoo pour le remercier. Le lendemain il était dans ma salle de bain, perceuse à la main. C’était le début du mois d’août, il faisait terriblement chaud. Pauvre Thomas. Il suait à grosses gouttes le visage entre mes cuisses nues. J’étais debout sur un tabouret dans le bac à douche, il était accroupi pour percer dans le mur, je tenais les montants de la cabine vitrée au-dessus de ma tête. Ma robe d’été, déjà particulièrement courte, remontait jusqu’au sommet de mes cuisses. Je jubilais. Thomas souriait. Il sourit tout l’après-midi. Pourtant le montage fut difficile, un robinet inébranlable nous empêchait de construire droit. La cabine est de travers. A mon image, ai-je remarqué. Je n’avais pas encore l’électricité et nous dûmes finir la silicone à la lueur du téléphone. Nous abandonnèrent notre chantier bancal vers minuit et sortîmes boire un verre –des verres, à Neukölln. A trois heures il me raccompagnait à ma porte. Je riais comme une idiote. Il insista pour en savoir la raison. Je plantai mes yeux dans les siens et lançai dans une vapeur d’alcool : Maintenant, à chaque fois que je prendrai ma douche, je penserai à toi…

Sombre mensonge. Je ne penserai jamais à lui dans ma douche, je ne pense à personne d’ailleurs dans cette douche. Trop occupée à chanter faux. Mais je pense à lui maintenant. A trois stations de notre rendez-vous. Je ne sais plus vraiment où ce métro m’emmène. Le soleil ne brille plus. C’est l’automne, je vais peut-être faire demi-tour.

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Auteur·e

julietirard

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