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Comment, sans queue, je ne peux prétendre à la virilité

Pas si simple...
©Le Belrinographe

Il s’appelle Robert. Plutôt garçon. Plutôt beau garçon. Il marche comme on glisse. Il parle comme on fredonne une mélodie. Il a toujours le mot juste. Il est drôle, mais fin, subtile, brillant. Il vous étonne et vous apprend, sans en faire trop, il a le temps.
Voilà celui que j’ai rencontré il y a quelques semaines à la Theaterhaus de Mitte et qui, maintenant, me possède totalement. Robert.

En fait je ne connais pas son nom. A l’époque où j’écrivais moi-même des pièces de théâtre je ne savais pas si je devais nommer mes personnages ou pas. Que faire de ceux qui ne disent que trop peu pour qu’on les nomme ? Que faire de ceux qui en disent trop pour n’avoir qu’un seul prénom pour identité ?

Aussi, selon moi, j’étais Robert. Ni androgyne, ni transgenre, juste un Robert sans queue. Plus jeune on m’aurait sans doute appelé Bobby pas d’bite. Mais je ne savais rien de l’enfance de Bobby. Mon metteur en scène m’a demandé d’y réfléchir. De me l’approprier. Mais je n’ai pas envie de m’approprier l’enfance des autres. Déjà je ne trouve pas ça correct. En plus la mienne est déjà assez éprouvante comme ça pour que je récupère aussi les malheurs des autres. Et puis celle de Bobby a l’air pas mal dans le genre. Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu’il marche comme on glisse et qu’il parle comme on fredonne une mélodie ? Les gens qui sonnent toujours heureux me laissent dubitative. C’est impossible d’être toujours heureux. Ces gens-là cachent quelque chose. Ils mentent par omission. Et moi je n’aime pas le mensonge de fond. Dans la forme passe encore, mais rien de pire qu’un mensonge sur le fond. C’est fondamentalement méprisable.

Bobby me ment. Alors je m’obstine à lui offrir un peu de vrai. Je partage avec lui ma vérité. Si Mathieu savait exprimer sa pensée il me dirait que Bobby me sert de couverture, que je me cache derrière lui. Que je joue à l’homme, que je cherche ses bras pour m’y réfugier, quand les miens sont trop courts pour m’entourer totalement. Mais Mathieu ne sait pas traduire en mots son ressenti. Il choisit le silence. S’il était encore à Berlin, Thomas m’aurait sans doute dit que jouer à l’homme ne changerait pas la donne au sein du groupe. J’étais une fille, pas eux. Thomas avait toujours détesté que je passe autant de temps avec les garçons. Du coup c’est Max qui m’a lancé ça à la gueule la semaine dernière. C’était le rush au restaurant. Je nettoyais des verres, Max remplissait une carafe de rouge, Mathieu était assis de l’autre côté du bar. Je discutais de Robert avec Mathieu jusqu’à ce qu’il sorte fumer une cigarette. Max a posé la bouteille et m’a jeté un regard plein de rancœur.

– T’as pas de queue Jule, arrête de croire qu’avec ton théâtre de merde tu peux prétendre à la virilité. Ce que tu prends pour de l’amitié c’est juste de l’espoir, l’espoir de te baiser un soir où tu seras trop défoncée. Laisse tomber.

J’ai posé les verres sales sur le bar, ma vue brouillée par des larmes de rage. Je me suis retournée vers Max qui soulevait le plateau dans ses mains. J’ai baissé ma culotte et soulevé ma jupe de serveuse. Fin du mois, pas assez d’argent pour racheter de la cire, encore moins pour aller chez une Turque à Kreuzberg. Ma pilosité dépassait celle de sa barbe.
La surprise lui fit lâcher des mains son plateau, le vin s’écrasa sur sa chemise, éclaboussa son visage. Foutu Merlot.
Sa virilité en a pris un coup, elle restera, je pense, flasque un moment. J’ai repris la vaisselle où je l’avais laissée. Et Max me fiche désormais la paix.

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Auteur·e

julietirard

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