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Comment j'ai rencontré Mathieu

Rummelsburg usine
©Le Berlinographe

Il a pris beaucoup de formes pour moi en ces deux ans, et le décrire c’est peut-être me décrire moi-même, me projeter sûrement, en lui, en nous, ce que nous avons, aurions pu avoir.

Chemise blanche, pantalon noir, regard franc, assuré, il me scrutait de loin, plateau à la main. Lui serveur, moi potiche, en noir et blanc, au ralenti.
Lui : Tu parles allemand. -Oui. -Pourquoi ? -Pourquoi pas… Tu es Allemand ? -Oui. -Tu vis en France ? -Non à Berlin !
Berlin !
Ma reine, ma promise, je venais de la quitter comme l’été m’avait quittée aussi, mais en lui promettant de nous revoir bien vite, et voilà qu’elle s’incarne dans ses mots à lui, ses yeux francs et sa bouche polie. En noir et blanc, au ralenti. Souvenirs et promesses d’avenir.

Vieux jean et vieilles converses. Jeunes converses défoncées. Anorak froid, beige délavé. Ni écharpe, ni bonnet, et des flocons dans les cheveux. Vieux jean et tee-shirt troué, néons bleus, lumières électriques, toujours aucun sourire. Du stress, des mots balancés ci-et-là.
Lui : Tu as un tatouage. -Oui, deux. -Moi bientôt, j’ai mon dessin, mon projet.
Et le décompte était lancé.

Vieux jean et vieilles converses défoncées. Pull bleu tricoté. Deux chocolats chauds nous séparent, et déjà je sens cette électricité. Cette connexion entre nous qu’on ne perdra jamais.
Moi : Alors ce projet ? -Un dessin, mes passions, le vélo, le baseball.
Je lui parle de mes mots, mes écrits, ma passion de l’émotion pure dans sa retranscription. Il me dit n’y rien comprendre. Sa difficulté à s’exprimer, trouver les mots, surtout en français. Il me parle de New York, Miami, la Colombie, la vie là-bas, Noël sur la plage. Il me parle de vélo, coursier à vélo, tout dans le corps, dans l’effort, le physique, et contrairement à moi il tient debout, j’admire ça, j’adore ça. Mon ancre pour un temps. Avant de devenir la sienne.

C’est à partir de là qu’il m’inspirera, le monstre du café, ses yeux sont si profonds que j’y entraperçois la terre, ses racines, et ses mains sont si grandes qu’elles me tiennent toute entière, son torse si fort que je peux m’y briser, sa bouche précise défie mon trait fébrile, sa peau si dure écorcherait mes lèvres, son nez si droit me remet seul en place.
Lui : Je suis allé sur ton site. J’ai pas tout compris. Enfin je veux dire, je crois que je sais que c’est beau, mais je n’ai pas tout compris. Mais… Le texte sur le monstre… C’est moi non ?

Oui c’est toi, bien sûr que c’est toi, et toi encore qui m’emmène en virée, qui me fait face dans cet ascenseur étroit, me conduit sur des toits interdits, sert de modèle à mes photos argentiques, toi encore qui m’apporte ce vin chilien, m’inspire tous ces textes sur Berlin, mon Berlinois. Toi encore dans mon premier roman, ce personnage si fort, si rassurant, ancré dans le sol et dans le temps, toi mon présent. Au futur impossible.

Chemise blanche, pantalon noir, un plateau à la main. Il a quitté son vélo, et revenu derrière le bar. Il s’est rasé le crâne, ses cernes sont creusés. Et je comprends. Et je vois. Et je te serre dans mes bras quand tu pleures. Je viens te chercher quand tu te meurs. J’emménage chez toi. Nous faisons le ménage à deux, t’achetons des fringues à deux, chaussures en cuir, pantalon gris, pull en laine, et un bonnet, enfin, des gants, enfin, tu retrouves tes cheveux, et je me perds avec toi. Nous nous perdons à deux, il n’y a plus d’ancre pour nous sauver. Toi et moi contre le reste du monde, âmes noires en suspens. Je m’accroche à ses lèvres.
Lui : Je rêve ?
Non tu ne rêves pas, je fais cette erreur-là. Il est sept heures du matin, le soleil d’hiver se lève et je fais cette erreur-là, de t’embrasser, de me donner à toi, je fais cette erreur-là, délicieuse erreur mortifère.

Nu sous mes draps. Mort sous mes draps. Tu m’inspires depuis deux ans, j’ai tant écrit sur toi, sur nous, mes fantasmes, mes projections, toi mon miroir. Même parti tu m’inspires encore, toujours.
Lui : Tu m’inspires aussi. Un jour oui, mais plus aujourd’hui.

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Auteur·e

julietirard

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