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Pourquoi il y aura un combat

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©Le Berlinographe

Le moment s’approche. Le moment se rapproche de moi. Le moment tant attendu, tant redouté. Le moment de prendre un chemin, ou l’autre. D’aller vers l’un, vers l’autre. Le moment de sortir, choisir, se laisser prendre. Car il le faudra bien.
Triste, rageant, déprimant et pourtant je ris. Seule dans mon appartement, assise sur mon tapis, le soleil dans mon dos, je ris. Pour de bon. Je ris jaune, bien entendu. Je lève mon verre à l’ironie. Je lève mon verre aux cercles et aux spirales, aux équations pourries qui nous ramènent au même constat : le monde est bien trop grand pour se faire mesurer par nos petites tentatives de contrôle désespérées. Je ris jaune, je ris avec le monde, je ris du monde qui rit lui-même de moi. Depuis le premier jour, sans aucun doute. Depuis chaque premier jour de ma courte existence.

Le moment s’approche parce qu’il s’approche de moi. Ce mauvais garçon. Ces mauvais garçons là. Autant de loups sortis du bois, la langue pendante et les crocs bien trop blancs. A leur tête, deux frères. Prêts à se battre pour savoir qui aura le plaisir de goûter le premier à mon sang. Choisir les meilleurs morceaux de mon corps frêle et tremblant. De désir, soyons honnêtes.

C’est quand on ne les cherche plus que les loups sortent du bois. C’est quand on les veut loin qu’ils lancent leurs plus beaux regards. Je danse avec les loups. Deux pour être exacte. Si différents et si semblables à la fois. La douceur de leur peau sur la mienne quand ils caressent ma main, ma main fragile, perdue dans la fatigue. La délicatesse de leurs doigts quand ils caressent ma nuque, là où mes cheveux démarrent, où le tissu s’arrête. La moiteur de leurs lèvres sur ma joue, au coin de ma bouche. Et leurs regards de braise, ces regards qui me clouent au sol chaque fois, qui m’obsèdent des heures durant. Ces échanges de regards mi-sérieux, mi-amusés, qui nous enflamment tous les trois. Préviennent le danger. Ce danger qui s’approche, s’approche encore je le sens, ils le sentent. Profitent de l’absence de celui qui aurait du me posséder. Profitent de la distance.

Je suis debout dans la clairière, cercle nu dans une forêt sombre, j’attends. Les deux loups rôdent, tournent lentement autour de moi, et chaque soir se rapprochent, chaque soir font un pas de plus vers moi. Il est loin le temps des distances naïves. Désormais on se frôle, se caresse, s’embrasse entre deux portes sans questions ni réponses, sans réfléchir.

Vingt et-un juin. L’été est là. Promesse de brûlures, promesse de sueur. Mélange de textures, la peau qui frémit dans l’eau fraîche, le corps qui frémit contre l’autre. L’été est là. La chaleur est là. La moiteur est là. Mon corps attend. Attend de frémir dans l’eau fraîche, attend de trembler sous les doigts d’un autre, attend de mêler son odeur, sa sueur à l’autre, attend de voir qui sera l’autre.
Qui m’aura dans ses draps.

L’été s’est déclaré cette nuit à l’heure où mon corps lâchait prise. Etendue sur le bois. Mes deux loups plus proches que jamais, inspirant mon parfum, frôlant ma peau, tournant et retournant autour de mon corps endormi. L’été s’est annoncé cette nuit avec une promesse, celle d’une bataille. Car il faudra se battre pour me gagner. Pas avec moi non, moi je suis acquise. Acquise à l’instant présent, acquise à la sensualité. Maîtresse du frisson et reine de l’instant savouré. Il faudra se battre pour m’avoir toute entière. Pour l’instant déchirée, hésitante, incapable de choisir. Comme toujours. D’où le fou rire.

Car oui je ris, je ris, seule dans mon appartement, assise sur le tapis, je ris de voir que celui qui est parti au bout du monde avait tout faux. Celui qui croyait vivre dans le présent n’est qu’un esclave du futur. Comme souvent. Un esclave de l’attente. De voir ce que le monde lui réserve. De voir quels sentiments lui tomberont dessus en même temps que la pluie. Et qui me voit désormais lui glisser des doigts.
Je ris jaune car moi qui pensais choisir le futur, choisir le bon, le doux, le beau, le bien, je ne suis encore une fois que l’esclave du présent, de l’instant présent. Délicieux en intermittence. Et destructeur l’autre moitié du temps. Je ris jaune car je me vois lui glisser des doigts. Je me sens partir, sombrer, couler dans l’instant présent. Entre les griffes de ces deux loups qui rôdent. Qui sont là. Eux. N’attendent rien, eux. Ont compris ce qui me fait frémir, vibrer, mouiller.

Je coule dans une mer de sensualité, je sombre entre les bras de l’instant présent. Mes deux vrais amours. Les deux règles de ce combat qui approche. Car je vous le dis les garçons, plus qu’un combat c’est une course. Qui se noiera en premier avec moi. Courez, plongez, nagez, je vous attends au fond de l’eau. Le corps tremblant. De désir, soyons francs. Et je ris, je ris car je sais que dans ce combat il n’y aura qu’un perdant. Moi. Le goût du sang se répand déjà dans ma bouche, les dents rouges, je ris jaune. Parce qu’aucun de ces trois amants ne cherchent mon bonheur. Même pas moi finalement.

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Auteur·e

julietirard

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