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Parce que mon cœur est ouvert

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©Le Berlinographe

Parfois on a des choses à se prouver. Des questions dont l’absence de réponse résonne au matin, s’obstine comme un réveil qu’on n’arrive pas à éteindre. Des suppositions loin des affirmations qui manquent, dont l’absence obsède le peu de sommeil qu’on atteint. Parfois on a des choses à se prouver.

Obsédée par les mêmes questions depuis des semaines. A quoi ça sert ? Est-ce que ça se lohnt en allemand, comprendre est-ce que j’y gagne ? Drôle de réflexion quand on parle du cœur, me lança Julia un soir. Mais Julia est partiale dans l’histoire. Elle aspire à mes lèvres depuis des mois, forcément.

Obsédée par une ambivalence de sentiments qui changent avec le ciel. Très clair. Il me plait. Je le veux. Je l’aurai. Je l’ai déjà, un peu. Je crois. Je crois ? Je ne suis pas sûre c’est vrai. Passage nuageux. D’ailleurs je ne sais toujours pas qui je suis, qui nous sommes l’un pour l’autre. Apparition solaire. Mais si je le sais. Je le vois. Je l’entends. Je le sens dans ses caresses, je lui plais. C’est clair. Réveil sous la pluie. Un téléphone silencieux. Parce qu’au fond tout ça n’est pas réel. Tout ça me saoule. Tout ça ne compense en rien le vide qui se crée quand il s’en va, quand c’est moi qui m’en vais. Tomber amoureux c’est faire de la place pour quelqu’un. Dans sa vie. Dans son cœur. Dans son planning et dans ses sentiments. C’est droguer son cerveau à l’émotion. Sauf que moi j’ai arrêté la drogue. J’ai arrêté la drogue le jour où je l’ai rencontré. Non sens.

Droguée à l’émotion. Droguée aux frissons. Mon cœur est ouvert tu vois, ai-je dit ce soir à Julia. Toutes deux assises au bar. Sa main frôlant ma cuisse nue. Je mordille la paille de mon rhum coca. Mon cœur est ouvert tu vois, mes cuisses aussi, avais-je envie d’ajouter. Je m’entortille dans les fils gluants de la chute amoureuse mais l’araignée est loin. Si tant est qu’elle ait vraiment envie de me manger. Alors moi, en insecte prêt à être dévoré je roule sur les fils, mes grands yeux pleins d’étoiles devant ceux qui me convoitent d’un peu plus loin, pourtant beaucoup plus près.

Saoulée au rhum cola. Saoulée par ces questions qui se répètent. Le cœur ouvert sous un ciel plus que nuageux, aujourd’hui la journée a été froide. Bien trop froide. Et me voilà saoule, qui tourne au milieu du bar, une rose rouge dans la main, affamée, assoiffée, seule et tremblante, sous les yeux de mes doux prédateurs.

Saoulée au rhum cola, j’erre dans le bar. J’erre sous les caresses de l’un qui m’emprisonne dans ses bras, m’embrasse sur la nuque, baisers dans mon cou, inspire mon parfum, je me libère marche un peu, et plonge, capturée par ses yeux à elle, passe ma main dans ses cheveux, son corps se serre contre le mien sur une musique peinlich et soul des années quatre-vingt, je sens sa langue sur la mienne, les éclairs dans les yeux des autres. Je m’échappe et m’appuie au comptoir, hésite à reprendre un cinquième rhum cola, il est tard, je sens un souffle sur ma nuque, ses lèvres douces à lui, mon obsession de toujours, ses murmures dans mon oreille. Mes frissons.

Ce soir tout le monde a le cœur bien trop ouvert. Tout le monde erre, saoulé à tout et surtout par le monde qui tourne bien trop vite.
Ce soir tout le monde a besoin d’une caresse, de se serrer contre la peau de quelqu’un d’autre, de sentir la caresse d’une langue contre la sienne, ce soir tout le monde est seul, et nous sommes seuls tous ensemble, quelle belle famille incestueuse. Je me retrouve au centre, sous les mains, les baisers de cinq, six de mes chers collègues, il est trois heures du matin, et sous leurs mains, leurs baisers, leurs caresses, une réponse apparaît. Ca ne se lohnt pas non. Et pourtant c’est à lui que je pense. Celui qui est loin. Dans un ailleurs inaccessible. C’est à lui que je pense. C’est sa peau qui me manque. Ses mains. Sa langue.
Alors je ferme les yeux et me laisse engloutir. Sous les baisers, sous les caresses de ceux qui sont plus près. Il est trois heures du matin, nous travaillons tous demain. La nuit sera longue. Comme les regards demain matin.

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Auteur·e

julietirard

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