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Coeur, Corps, Esprit

Je suis au plus près de sa peau. Je suis couleur chair il paraît, c’est ce qui était écrit sur l’étiquette quand elle m’a acheté. Elle m’a acheté parce que je suis chaud. Ça aussi c’était marqué sur l’étiquette. Pourtant je suis très fin, je colle à la peau, léger comme une plume. Si fin que lorsqu’elle a froid je ne sais retenir ses seins qui pointent. Si près du corps que l’hiver j’ai remplacé tous ses soutiens-gorge, même quand on prend les routes cabossées à vélo. Les pistes cyclables en relief dont les racines font vibrer la selle et la dynamo. Je suis doux, je l’enserre et la protège, du froid, de tout. Je la câline et la caresse, je me fonds sur sa peau rosée d’hiver. Elle m’adore. Chaque lessive de pyjama est une excuse pour me porter la nuit. Elle m’aime trop. Alors parce que l’amour ne se divise pas, elle m’a multiplié. On est trois maintenant dans la boîte qui s’appelle culottes-hiver. Moi, le noir, et le gris tout doux.

Je suis celui contre qui repose cette boîte, et les autres boîtes, et les planches de bois qu’un garçon a introduit un jour en moi, et la tringle qui me transperce et porte les robes d’été. Je suis celui contre lequel sa tête frappe quand elle disparaît. Quand elle se fond dans l’autre, quand elle se noie dans l’instant, quand une, elle devient des millions et qu’elle perd pied, parce qu’elle n’a plus pied, parce qu’elle ne sent plus rien, plus rien non, quand le reflet dans le miroir n’est plus. Je suis celui contre lequel la peau éclate, qui recueille le sang, les larmes et les cris, la salive des sanglots, je suis celui contre lequel la tête frappe en rythme, jusqu’à ce que les millions d’atomes se mettent à danser et se donnent le main, se rassemblent pour, enfin, la refermer.

Nous sommes celles qui s’ouvrent et se referment au gré de ses besoins. Quand le vent de l’instant nous presse. Nous sommes celles qui ouvrent des mondes de fous. De folles. De folie créatrice. Nous abritons des déserts brûlants, des gouffres avides, des jungles obscures qui ne connaissent que la nuit. Nous avons enfermé des anges aux ailes arrachées, nous retenons des micro-ondes en otage, nous créons des sons et des couleurs qui n’ont pas de noms. Souvent, l’une de nous est ouverte, entrouverte seulement, mais parfois la tempête est trop forte, alors dans une joie non feinte nous explosons, et c’est le blanc, puissant, l’orgasme avant la noyade, et c’est l’autre là-bas, droit et fort, rugueux qui, en rythme, viendra nous refermer.

Ecrit dans le cadre de l’atelier d’écriture « les lundis sous la lune »

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Auteur·e

julietirard