Crédit:

Salle de classe

J’ai l’impression d’être une maîtresse d’école. Une salle de classe. Deux élèves. A ma gauche, la première de la classe, brillante, jupe plissée et tresses en épis de blé. Elle lève le doigt, trépigne sur sa chaise, elle a réponse à tout. Sa phrase préférée : c’est normal enfin, regarde, tous les autres le font.

Ils tombent amoureux.

Ils vont au cinéma, au restaurant, en week-end dans des relais-châteaux.

Ils font du sport.

Ils se tiennent par la main.

Se présentent leurs amis, leurs parents.

Et puis il y a l’autre élève. Dans un coin de classe. Incapable de s’asseoir parce qu’informe, instable. Une boule grise. Poilue. Pas humaine mais on prétend que si, comme dans ces films étranges que j’aime bien. Une boule grise, poilue, qui grogne. Qui ne sait pas parler. Un esprit rationnel dirait qu’elle n’aurait pas pu arriver au CE1 avec ce niveau de langage mais je ne suis pas quelqu’un de rationnel. Celle-là est silencieuse, et pourtant, impossible à ignorer. Toujours là. Un peu menaçante. Cet enfance bizarre, qui fait pitié et peur en même temps. Qu’on aimerait cajoler mais qui pourrait s’attacher. Qui disparaît, qu’on cherche des yeux avant de sentir un frisson d’horreur parcourir son échine parce qu’elle est là, derrière soi.

Jupe plissée la regarde en grimaçant. Dégoût. L’autre grogne. Doucement, puis plus fort, puis elle s’agite. Les lampes crépitent, la lumière vacille, les meubles vibrent, la boule explose. Elle hurle, gargarismes étranges, renverse tout sur son passage, les meubles, les chaises, brise et fracasse, puis elle se jette à mon cou. Elle me renverse, m’étrangle, me griffe, attrape un pied de chaise pour me battre. Elle me frappe, brise mes os un par un et ma tête éclate.

Jupe plissée regarde par la fenêtre en mâchant un chewing-gum. Elle attend que ça passe, que la tempête se calme. Plus tard elle me regardera panser mes plaies, éponger le sang, ranger la classe. Elle tournera ses yeux vers moi et me dira « je serais toi… » et je fermerai les yeux pour ne pas l’entendre.

Tu crois que je n’ai pas déjà essayé jupe plissée? De la mettre à la porte? De la virer? Elle est toujours là, TOUJOURS LÀ. Et tu auras beau me séduire avec tes idées à la con et tes « c’est normal » et tes envies de câlins, d’amour, de promenade main dans la main près du lac et de dégustation de putain d’amandes grillées, elle sera TOUJOURS LÀ.

« Le problème c’est que vous êtes tiraillée entre deux émotions. Une partie de vous a très envie de vivre cette relation, d’aimer, de sentir cette proximité, cette intimité, mais l’autre est terrifiée a l’idée de se perdre dans l’autre. Chacune tire d’un côté et vous… Vous êtes au milieu. On s’arrête là pour aujourd’hui Mme A.? Ca fera 60€. »

Partagez

Auteur·e

julietirard