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Pourquoi je cherche un travail

decembre
©Dmitry

CRISTINA
No, I just have to come face to face with the fact that I am not gifted, you know? I-I can appreciate art and I love music, but…it’s sad, really, because I feel like I have a lot to express and I am not gifted.

Ça fait des jours que je cherche cette citation. Vicky Cristina Barcelona. J’ai fini par lire le script pour la trouver. Un peu déçue finalement, je ne m’en souvenais pas comme ça. Ce dont je me souvenais c’est que j’avais 18 ou 19 ans quand j’ai vu ce film au cinéma. Cristina, entourée de deux peintres merveilleux, son appareil argentique dans la main, explique qu’elle a beaucoup à dire mais qu’elle n’a pas de don pour le faire. Dans le noir du cinéma, un an ou deux avant que je me mette à taper dans les murs, j’ai eu les larmes aux yeux. J’ai pleuré dans la lumière blanche de l’écran. Parce qu’à ce moment-là moi j’aurais tout donné pour n’être qu’un dixième de Cristina. Une jolie blonde, sensuelle, magique, photographe en argentique, dans la chaleur de Barcelone. Développer des photos dans le noir –embrasser Maria Elena je l’accorde. C’était avant que je me mette à taper dans les murs, avant que j’écrive pour survivre, tous ces poèmes, toutes ces histoires, mes premières pièces de théâtre, c’était il y a longtemps et pas si longtemps en même temps.

Je cherchais cette citation. Finalement pas tant pour ses mots mais pour ce qu’elle provoque en moi. Ce désespoir de n’être « pas une artiste » à 18 ans, bonne khâgneuse en voie de master, c’est ce cri qui résonne depuis un mois maintenant, bonne serveuse en voie de barmaid. Hier après-midi c’était mon dernier jour au restaurant. J’ai démissionné. Hier soir j’ai trinqué au chômage. Trois vins chauds.

Alors que chacun vogue vers ses propres ambitions : chef d’entreprise, photographe, mère de famille, moi je ne sais plus très bien ce que je fais. Je veux être écrivain. Je ne vois rien d’autre, je ne veux rien d’autre. Je veux partir en Espagne ou en Suède, écrire mes livres, seule avec du vin de noix et mes vinyles d’Archive. Je veux revenir à Berlin profiter des amis, sortir, ouvrir un bar à vin, y mettre mes potes et rire.
Alors j’écris un peu, et je sers beaucoup. Des assiettes dans des restos, des verres dans des bars. A me demander pourquoi déjà ? Ah oui pour avoir du temps, dormir le matin, écrire, partir en vadrouille l’après-midi, travailler le soir et un bout de la nuit. Gagner sa vie pour y arriver. Arriver à quoi déjà ? A être écrivain oui c’est vrai.
Et puis soudain plus rien. Ce matin je ne suis plus serveuse. Quelques semaines d’économies devant moi pour trouver autre chose. Mais pour trouver quoi ?

Parce que je grandis, et, cela te fera sans doute plaisir papa, je réalise que les chances que je vive de cela sont faibles, que dis-je, dérisoires. La poésie en prose n’achète pas des villas en Espagne, des châteaux tout au plus.

La future photographe fait des photos de mariage pour vivre de son art.
Le futur chef d’entreprise monte sa boîte.
La future mère de famille heureuse fait des enfants.
Et l’écrivain ? Supposée faire des traductions ? Des articles bidon ? Des piges ? Courir la ville à la recherche d’articles à vendre ?

Je continuerai à grandir, mûrir -c’est comme ça qu’on dit non?, mais pour l’instant je ne suis pas prête à renoncer à quoi que ce soit. Dans dix ans j’écrirai mon quatrième livre dans un champ de fleurs sauvages à Barcelone. Je le retravaillerai sur une île en Suède. Je fêterai sa sortie dans mon bar à vin berlinois. Avec les copains. Ceux qui ont toujours cru en moi. Avec vous quoi.

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Auteur·e

julietirard

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