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Bafouillages et défaillances

Ce matin D. est entré dans la pièce. J’étais seule. Personne d’autre. Je travaillais à ma traduction. Le soleil chauffait mon visage. Suffisamment voilé pour ne pas avoir à tirer le rideau, pour ne pas avoir à me déshabiller. D. est entré dans la pièce. J’ai levé les yeux au-dessus de mon écran. Il m’a souri. Il a vu que nous étions seuls et m’a souri. Discrètement. Sourire voilé lui aussi. Mais dans ses yeux j’ai vu le reflet de mon plaisir à le savoir seul dans cette pièce carrée avec moi. D. est entré dans la pièce, nos regards se sont croisés sur des hallo fébriles et nos demi sourires. Dans ces sourires l’écho de nos messages peu subtiles, délicieusement chargés de tension érotique, la même qui anime les piques que nous nous lançons par dessus nos écrans quand il est là et moi aussi. Et soudain cette vague. Je ne le regardais déjà plus mais cette vague. Ce déferlement de désir, ma peau qui soudain ce perle de sueur, cette chaleur, trop chaud, beaucoup trop chaud, moi qui n’ai jamais chaud, et je sens mes pensées qui s’embrouillent, je prie pour qu’il ne me demande rien, pas même un wie geht’s car je ne saurais répondre, je balbutierai un frallemand incompréhensible qui voudrait dire tirons les rideaux et posons nos mains l’un sur l’autre croisons nos lèvres et soupirons ensemble.

Ils sont peu à me faire cet effet là. Je me souviens de cette torture il y a quatre ans chaque fois que T. passait à moins d’un mètre de moi. Parfois deux suffisaient pour me mettre dans le même état. Le coeur qui palpite la chaleur qui monte le visage qui tourne au rouge. Moi qui ne rougit jamais. Self contrôle assuré. Capable de parler sans trembler devant une foule connue ou inconnue et d’aimer ça. Mais T. il y a quatre ans et même quatre ans après, impossible d’aligner deux mots sans trembler. Bafouillages frallemands ridicules et les seuls mots intelligibles sont traduits par des regards appuyés et des sourires lubriques. Encore aujourd’hui quand je m’assois au bar et que je le regarde me servir un verre je ne vois que son corps trempé de sueurs et les glaçons qu’on se passait sur la nuque avant de se donner rendez-vous dans les toilettes à l’étage, ces mots qu’on se laissait dans nos poches respectives, sous nos téléphones portables, l’attente interminable des trois heures du matin on nous pourrions sortir et faire l’amour au bord du canal. Ce soir d’orage. Oui quand je m’assois au bar et que je le regarde je me sens moite, en souvenir de ce mois de juillet 2015 où tout dégoulinait de sueur, les verres de bière froide, l’herbe au bord du canal et nous dans nos tee-shirts noirs.

Envie d’un thé. Bureau de D. sur le chemin de la cuisine. Soupir. Longue journée à venir.

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Auteur·e

julietirard