Crédit:

Parce que sept jours c'est long pour une descente

descente
Il m’aura donc fallu sept jours. Sept jours pour me remettre d’une soirée. Enfin d’une nuit. Enfin d’une soirée, d’une nuit et d’une matinée pour être exacte. Moi qui toute fière de ne plus boire d’alcool (à outrance s’entend) ventais mes désormais absences de gueule de bois… Sept jours. Long.
Samedi. Dimanche. C’était une belle soirée, ma Léa rien qu’à moi pour quelques jours revenue, une belle soirée où la musique est forte et les sourires profonds. Où mes yeux se ferment pour partir, partir loin, trouver un mur, s’y adosser à peine, et se laisser bercer. Où mes doigts bougent seuls, en rythme, comme mes bras, mes jambes, ma tête et mes cheveux, en rythme, où l’on se balade de salle en salle Léa et moi, où l’on ne se quitte plus. Ces soirées qui durent douze heures et plus et qui reprennent une année d’émotions. Colères et déceptions, rires et pleurs, amours, toujours, et grandes déclarations. Ah, ces grandes déclarations, entre la porte et le mur de toilettes noires mais toujours propres. Grand carré gris à About Blank où l’on se cachait d’un admirateur au regard lourd. Placard reclus au Wilde Renate où l’on s’extasiait de la galanterie de l’homme qui nous faisait passer en premier. Alignement de portes dans un couloir argenté au Trésor où je dansais, incapable de m’arrêter, en attendant qu’elle ait fini de pisser. Et où je contemplais mon visage. Avantage de la poudre. Quand l’alcool fait de mon monde un tableau flou, elle éclaire tout, le moindre détail attire mon regard, tout est beau, grand, important. Cinq minutes à me fixer dans le miroir, les pupilles plus noires que jamais, si grandes que je ne vois plus rien du vert de mes yeux. J’adore cet effet-là ma Léa, ces pupilles noires immenses, impression de voir vraiment au fond de soi. Miroir de l’âme pour de bon, j’y plonge, y plonge, y plonge…
Lundi. Je raccompagne Léa à son avion, rentre à la maison ni fatiguée ni reposée, obsédée par le bout de papier plié laissé sur mon bureau. Je le fous au frigo et appelle un des garçons qui viendra chercher ça dans la soirée. La tentation est grande de retrouver ce plaisir de soi, de se savoir vivant. La tentation est bien trop grande pour la garder à la maison.
Mardi. Terrassée. Je repousse mon réveil d’heure en heure jusqu’à sauter sur mon vélo à moitié somnambule. Je m’endors sur le parquet du studio où mon cours de yoga s’achève en une relaxation épuisante.
Mercredi. Je m’autorise le repos jusqu’à quatorze heures, je ne travaille pas ce soir. Passe l’après-midi en quête de réconfort, chocolat chaud sur latte macchiato, heureusement que ces dernières années je m’interdis l’achat de paquets de gâteaux. En rentrant d’un resto entre copines je passe au Späti m’acheter une boîte de Kinder chocolat, plus fort que moi, les déballe un par un en arrivant chez moi, leur trouve un goût sec. Périmés depuis trois mois, tant pis.
Jeudi. On me confirme au travail l’importance du chocolat en descente. Plein de compassions, mes collègues me fournissent toute la soirée en crêpes au chocolat. Ecœurée.
Vendredi. Malade de l’estomac. Forcément.
Samedi. Grand mieux. Sixième jour, il était temps. Après une journée à boire des jus de pommes pressées entre deux petits déjeuner à servir en salle, je prends la route de Friedrichshain dans la nuit fraîche, Rigaer Str, une cour déserte et noire qui fait peur et des amis d’amis qui enchantent mon cœur pendant 40 minutes. Son électro trip hop qui fait du bien. Retour à un état de rêve bien plus sain.
Dimanche. Souriante sous un soleil de plomb, retour à la normale sans montée ni descente, un plat agréable, enviable, trop bon pour être mérité. N s’assoit avec moi en terrasse pour notre première et seule pause d’une journée chargée. Ce samedi-là au Trésor pendant que je me contemplais dans mon miroir, on mettait du GHB dans son verre posé sur l’enceinte. Elle qui ne consomme que du club mate froid, elle qui ne vient que pour son mec, prodigieux DJ qui enchanta notre nuit dans les caves du Trésor. Elle a les larmes aux yeux quand elle m’explique qu’elle ne se souvient de rien. Elle qui s’est toujours souvenue de tout. Disparue du club pendant deux heures environ. Et la descente s’ouvre à nouveau sous nos pieds. Elle se sent déçue. Je me souviens mon agression l’hiver dernier. Mon aussi j’étais déçue. Parce que je m’étais toujours sentie en sécurité dans cette ville. Mais tout peut arriver, tout le temps, et à tout le monde. Pas d’histoire de mérité ou pas mérité, de leçon à retenir ou non. Une histoire de hasard de la vie, d’actions et de conséquences, de risques pris, une histoire de gros cons souvent. Mais une histoire à vivre. Des montées, des descentes, des plats, des accidents. Histoire à vivre.

Étiquettes
Partagez

Auteur·e

julietirard

Commentaires