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Parce que c'est une histoire de route

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©Le Berlinographe

Finalement il n’y a pas eu de combats. Pas eu de vainqueurs ni de vaincus. Enfin je crois. Quelque part nous sommes tous trois tristes et déçus à la fois. Il n’y a pas eu de combats. Plutôt une histoire de route en fait. Une histoire d’auto-stoppeurs.

Depuis toujours je suis sur la route, ma route, nationale, je serpente entre les arbres, les ravins, les fossés, je me fais des frayeurs parfois. J’étais sur une toute petite route de montagne quand je l’ai rencontré, l’homme aux mille équations. Une toute petite route de montagne, effrayante, entre ravins et falaises, je manquais mille fois de me planter, chuter, m’écraser au fin fond d’une vallée noyée. Mais je l’ai rencontré, auto-stoppeur. A deux nous avons pris la route qui rejoignait le village, intersection, nous sommes descendus, à toute vitesse nous sommes descendus, avons regagné la vallée, ralenti en traversant le village, puis accéléré, et au moment de prendre l’entrée d’autoroute il est descendu. Je suis restée là, plantée là, porte ouverte, attendant de savoir s’il remonterait ou non. Je suis restée là, dangereusement là, dans le virage de l’entrée d’autoroute à l’attendre. Attendre qu’il se décide. Attendre qu’il cesse de me regarder avec ses yeux d’indécis. Qu’il remonte en voiture ou parte au loin, à travers champs. Et puis l’heure est venue. Le soleil a décliné là en face, il est venu frapper mes yeux à travers le pare-brise, soleil couchant des journées sur la route. J’ai fermé la portière, aveuglée. J’ai entendu ses poings frapper contre la vitre, j’ai senti la voiture trembler sous ses cris. Mais j’ai fait demi-tour. Dangereusement demi-tour, sur cette entrée d’autoroute. J’ai regagné la nationale, intersection, encore et toujours. C’est là que je l’ai vu, mon loup. Mon loup aux yeux brillants. Il m’attendait. Il m’a regardée droit dans les yeux. Droit dans mes yeux aveuglés de soleil. Cette fois c’est moi qui suis sortie. Un pas, deux pas, d’autres pas encore m’ont guidée à l’orée des bois, mon loup, féroce et tendre à la fois.

J’ai repris la route. La nationale, celle qui serpente entre les montagnes, les forêts, les bois. J’ai repris ma route. A contrecœur je dois le dire. J’aimais l’idée d’aller vite, très vite, vers l’inconnu, tourner le dos au soleil qui se couche, conduire vers l’est, très à l’est, où le soleil se lève bien plus tôt que chez nous. Mais j’ai repris ma route. Je ne suis ni triste, ni déçue, ni heureuse, ni rassurée, ni emmerdée, ni rien. Je flotte, comme à mon habitude je flotte, je me laisser bercer par les jours qui se lèvent et s’éteignent, je ne sais pas quel jour on est, je ne sais pas l’heure qu’il est, je ne sais pas où je vais. Je roule. Je suis. Je suis la route. Je suis la brise. Je passe ma main par la fenêtre et je touche le vent. Me laisse porter par le vent. Me laisse porter par chaque molécule autour de moi. Je me laisse. Me lasse. Passe mon tour et suis la route. Je suis. C’est tout.

Parce qu’il y aura d’autres auto-stoppeurs, d’autres routes, d’autres entrées, d’autres sorties d’autoroute, parce que je vais rire, je vais pleurer, je vais m’en vouloir, me haïr et m’adorer, les haïr, les adorer, les aimer peut-être, aussi. Parce que je ne regretterai jamais, non jamais, d’avoir écouté mon cœur, parce que je ne regretterai jamais de repartir sur la route, toujours repartir sur la route, quoiqu’il arrive, ne jamais s’arrêter, non jamais. Je prendrai parfois à gauche, parfois à droite, je ferai demi-tour, mais jamais je ne m’arrêterai. Jamais je ne m’arrêterai, si ce n’est pour descendre de voiture, en haut de la colline, entre la Sainte Baume et la Sainte Victoire. Si ce n’est pour descendre de voiture en haut de cette colline, et regarder le soleil se coucher là-bas, caresser chaque village, chaque pin, chaque cigale de ses rayons brûlants. Si ce n’est pour descendre de voiture, se laisser embrasser, enlacer, se serrer contre le torse d’un (e) autre, un (e) autre qui à ce moment-là, en haut de cette colline, aveuglé (e) par le soleil bouillant, regardera dans la même direction.

Parce que je sais d’où je viens, jamais je n’aurai peur de ne pas savoir où je vais.

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Auteur·e

julietirard

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