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Pourtant elle ne le déteste pas

Ca fait sept mois. Sept mois qu’elle n’a pas glissé un pied sur son parquet sombre. Sept mois qu’elle ne s’est pas allongée sur son tapis, sept mois qu’elle n’a pas arrosé le basilic qu’ils avaient planté ensemble. Sept mois qu’elle n’a pas senti la douceur de son tee-shirt bleu pâle sur sa peau. Celui qu’elle se dépêchait d’attraper sur le fil à linge quand il venait de le laver. Sept mois qu’elle ne l’a pas entendu râler que c’est son tee-shirt préféré. Moi aussi. Sept mois qu’elle n’a pas inspiré l’odeur des draps propres, des draps blancs contre sa peau. Sept mois qu’ils n’ont pas partagé un sourire. Sept mois qu’ils se voient sans se voir, et un mois qu’ils ne se voient plus du tout. Elle lui a dit au revoir il y a un mois tout juste. Dans une nuit trop chaude pour un début de mois de mai. Dans une nuit trop claire. Un mois qu’elle a dit au revoir, sans verser une larme, sans élever la voix, sans être triste. Juste un peu de mélancolie. Qu’elle lui a souhaité d’être heureux. Même si elle ne le pensait pas. Qu’elle s’est souhaitée d’être heureuse. Et elle l’est. Un mois qu’elle ne le voit plus, soulagée. Et pourtant.

Pourtant chaque jour, quand une voiture se gare en bas de chez elle et qu’une porte claque, elle attend qu’il sonne à sa porte. Chaque jour, quand on sonne à sa porte elle s’attend à entendre sa voix dans l’interphone. Chaque jour quand le facteur dépose une lettre dans sa boîte aux lettres, elle pense que ce sera une lettre d’amour. Quand elle part à vélo elle s’attend à le croiser. Quand elle va faire ses courses elle s’attend à le croiser. Pourtant ils n’habitent même pas le même quartier. Quand elle passe sur le pont près du canal, quand elle se promène sur les berges, là où ils faisaient l’amour dans les nuits moites du mois d’août, elle s’attend à le trouver. Pendant ces quelques secondes hors de toute rationalité, pendant ces quelques secondes où elle est sûre de le retrouver, elle imagine sa réponse. Elle imagine ce qu’elle lui dirait. Elle se répète des dizaines de phrases toutes plus horribles les unes que les autres. Des phrases d’une froideur amère, d’une dureté épineuse. Ces phrases qu’elle seule est capable de formuler. Qui mettent en mot la plus secrète des faiblesses de l’autre, le cloue et l’assassine au moment même où elles sont prononcées. Accompagnées de ce jugement terrible dans son regard gris. Je ne peux pas être avec toi, nous n’avons rien en commun, cela pourrait être bien mais tu ne m’apportes rien. Tu ne m’as jamais rien apporté. Tu te contentes de me tirer vers le bas, inlassablement vers le bas, et je n’ai pas besoin de ça. Voilà ce qu’elle répète en trois langues dans sa tête, inlassablement, quand elle le croise dans ses pensées irrationnelles. Inlassablement, chaque jour quand une portière claque, quand la sonnette retentit, quand la boîte aux lettres se remplit. Pourtant elle ne le déteste pas. Elle ne l’a jamais détesté. Elle brûle pour lui, de tout son corps, comme au premier jour. Comme à la toute première seconde où leurs regards se sont croisés. Comme il y a un an à peu près. Quand les orages ont éclaté et leurs cœurs aussi, à force de trop s’effleurer. Elle ne le déteste pas non. Elle se déteste elle-même. Et toutes ces phrases, ces regards gris sont pour elle. Parce qu’elle se hait de l’aimer, d’aimer cet autre si faible, si inconsistant, manquant cruellement d’ambition, d’aimer cet autre qui n’a jamais souhaité plus, dont la vie se déroule lentement, alors que la sienne doit toucher chaque seconde à la perfection. Parce qu’il fait tache dans sa vie, il a fait tache, et continuerait à la salir s’il revenait. Et pourtant elle crève d’envie qu’il revienne. Elle l’aime, dieu qu’elle l’aime. Et elle se hait.

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Auteur·e

julietirard