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Parce qu'il n'y aura jamais personne à mes côtés

ange
©Le Berlinographe

Quand j’étais petite, quand j’étais ado, quand j’avais encore l’âge de croire en des choses plus grandes que moi, je passais les nuits du mois d’août sur un matelas près de la piscine, emmitouflée dans mon duvet, à regarder les étoiles. Et pour chaque étoile filante, j’ai fait le même vœu.
Je voudrais être heureuse.
Plus tard, je souhaite être heureuse.
C’est triste. Parce que souhaiter ça quand on est petit, c’est qu’on est un petit malheureux. C’est qu’on aspire à mieux. Dans la terreur de l’âge adulte, dans la peur de ne pas réussir à survivre, à faire quelque chose qui me sorte de la noirceur dans laquelle nage mon âme depuis toujours. Née abîmée. Un corps d’ange tombé du ciel, aux ailes brûlées, incarné dans le corps frêle d’une petite fille tout juste sur ses pieds.
« Tu es un ange ». Combien de fois ai-je entendu cette phrase. De la bouche de personnes étranges, charismatiques, aux regards pénétrants.
« Tu es un ange. » J’avais huit ans, neuf ans peut-être quand on m’a dit ça pour la première fois. Le responsable du cirque dans lequel j’étais partie en colonie de vacances, dans la chaude lumière de la Corse. Pourtant j’avais peu parlé avec lui, presque pas à vrai dire. Je faisais du trapèze, et c’était sa femme qui s’occupait de l’atelier aérien. Mais cet homme est venu vers moi, sur le bateau qui nous ramenait vers le continent, je regardais la mer, puis il était là, à côté de moi. Ses cheveux longs, blonds, les rides sur son visage, il a planté ses yeux dans les miens. J’étais mal à l’aise. Il a livré sa sentence. Un ange.
De ceux qui veillent sur les autres. De ceux qui n’ont pas d’avenir propre. De ceux qu’on utilisera pour aller mieux.
Alors j’ai souhaité, des années durant, des étés durant, à chaque étoile filante, d’être heureuse. D’être seule, heureuse. Solitairement accomplie. Solitairement sereine. Dans un avenir passionné, passionnant, qui me donnerait le sourire. Chemin que j’ai fini par suivre. A coups de murs et de couteaux de cuisine, dans la souffrance, l’égarement, j’ai fini par atterrir sur ce chemin, à la lumière des étoiles pour sûr, et à me battre pour y aller. Dans cet avenir passionné, passionnant qui me rendra heureuse.
C’est le constat que je fais ce matin. Devant mon ordinateur où clignotent mille projets. Mille opportunités. Sous mes cygnes de papier qui pendent au bord de bouts de bois ramassés hier dans le soleil d’automne, là au pied de ma maison, mon nid d’oiseau, mon nid d’oiseau fragile, blessé, abîmé. Abîmé.
Des années durant, répéter aux étoiles que le petit ange veut être heureux. En voie de l’être, pour sûr.
Traumatisé par l’autre. Penser à lui seul. Elle seule. Je veux être heureuse. Solitairement heureuse.
Et je vais l’être. Heureuse. Solitaire. Seule. Car des années durant, des étés durant, jamais je n’ai pensé souhaiter un être à mes côtés. Heureuse mais seule heureuse. Jamais deux. Jamais un homme. Jamais une femme. Trop peur de l’autre. Beaucoup trop peur de l’autre.
C’est le constat que je fais ce matin. Après avoir quitté mon amour d’hier. Encore. Encore le cœur en vrac, détruit, poinçonné par l’autre. Cet autre qui me fait tant de mal. Me terrifie. Qui prend tant de place dans mon être. Tu es un ange. Et les anges n’existent pas pour eux-mêmes. Pourtant je me bats, au côté des étoiles je me bats, pour ne plus dépendre de cet ange, pour être moi, pour être femme.
Pour être femme.
Sans personne à mes côtés. Car maintenant je le sais, je le sens, il n’y aura jamais personne à mes côtés. Les étoiles n’exaucent qu’un souhait.

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Auteur·e

julietirard

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