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Parole d'objet

Je crois qu’elle ne m’aime plus. Elle ne m’a pas souri depuis des jours, cinq, j’ai compté. Cinq jours passés dans le noir à l’attendre. Cinq jours qu’elle ne m’a pas touché. Pas jeté un regard. Est-ce que c’est moi ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? De toute façon depuis le début je sais qu’elle est trop bien pour moi. Enfin c’est moi qui ne suis pas assez bien pour elle. Peut-être que je ne lui laisse pas assez de place. Je l’entends souvent se plaindre du précédent qui ne la laissait pas respirer. Je dois sûrement l’étouffer moi aussi. Pourtant je suis doux, je fais mon possible pour m’adapter à elle, à sa vie en mouvement. Je suis presque invisible c’est pour ça que des filles comme elle nous aiment mes cousins et moi.

Elle a dû partir avec un autre. C’est ce que j’ai pensé au début, mais je n’en suis plus sûr. Les autres, ceux avec qui elle flirte de temps en temps, je les ai tous croisés. Aucun ne manque à l’appel, et ils ont tous dit la même chose : on ne l’a pas vue depuis un bout de temps ! Peut-être qu’elle a viré de bord. Elle les préférerait plus durs désormais, tendus, c’est vrai que je suis un peu mou, pour ne pas dire flasque. Non, ce n’est pas possible, je ne peux pas le croire. Sa façon de me caresser, de frotter sa joue contre moi, son nez, sa façon d’inspirer mon odeur… Quand je repense à son regard, la dernière fois qu’elle a ouvert le tiroir, j’en ai la bretelle qui se sert. Il paraît qu’elle a mal au dos. C’est l’autre, le gros black qui me l’a dit. C’est le dernier à l’avoir vue. A avoir caressé sa peau, respiré son parfum et celui, plus enivrant encore, de ses seins.

-Comment ça mal au dos ?

-J’te jure, je suis parti avec elle l’autre matin et en début d’après-midi, en plein milieu d’une foule de gens elle m’a lâché et j’ai fini dans la poche de son manteau. Elle a changé de bord je te dis.

-Une foule de gens ? Genre plein de femmes à moitié nues derrière des rideaux ?

-Euh non… Plutôt des mecs bizarres.

-Des mecs bizarres ?

Le gros black a haussé les balconnets et n’a plus répondu. Non, elle ne peut pas nous avoir abandonné, elle m’aurait dit au revoir, au moins à moi. Et même si elle avait trouvé mieux, elle m’aurait au moins replacé dans la fraîcheur du papier de soie qui m’enveloppait quand on s’est rencontrés tous les deux. Je me rappelle de son regard, le mouvement de sa tête quand elle s’est tournée vers moi, ses cheveux nonchalamment rajustés derrière son oreille avant de me prendre entre ses doigts, de plonger ses yeux dans mes rayures divines. Un coup de cœur, c’est ce qu’elle a dit j’invente rien. Entre nous ça a été le coup de cœur au premier essayage. Je ne veux pas croire qu’elle m’ait abandonné. Non. Quand elle aura fini de se faire masser le dos par des mecs bizarres, elle reviendra me voir, elle rouvrira le tiroir, me cherchera de ses doigts avides, pressés, me soulèvera et me déposera doucement contre sa peau. Avec un peu de chance elle aura mis de la crème, alors je me collerai à elle et jamais non jamais je ne quitterai les rives de ses aisselles.

Ecrit dans le cadre des « soirées sous les toits »

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Auteur·e

julietirard