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Parce qu'il s'en fout

s'enfout
©Le Berlinographe

D’habitude j’écris après. Quand le roman m’emporte. Trop loin. Quand je ne sais plus redescendre. Quand c’est trop dur de reposer mes pieds sur terre. Seule dans mon appartement. Près du chauffage là sur le tapis.

Ce soir est différent. Ce soir je ne suis pas chez moi. Ce soir je suis contre l’autre radiateur. Là-bas à quelques kilomètres. Je ne suis pas chez moi. J’écris avant. A toute vitesse. Là dans le noir, je viens de claquer la porte, envoyer foutre en l’air tout mon sac, mes vêtements, tout. Coussins. Couette. Pas mes coussins. Pas ma couette. Moment angoissant du pétage de plombs. Pas chez moi. Vieux souvenirs. Pas de piscine où se noyer. Pas de mur où se frapper. Une chambre, un appartement. Pas le mien. Et lui dedans.

Pourquoi lui ? Pas de hasard. J’ai le don pour les trouver ces mecs-là. Et me voilà enfermée dans sa chambre, dans le noir, la musique à fond. Ma musique à fond dans les oreilles. Enfermée. Dans sa chambre à lui. Pourquoi lui ? Parce que je sais qu’il comprend. Je sais qu’il comprendra. Que de l’autre côté de la porte il n’en a rien à foutre que j’ai balancé tous mes vêtements à travers la chambre. Il n’en a rien à foutre que je me sois enfermée dans sa propre chambre. Il ne tentera pas de me rejoindre. Il ne tentera pas de venir se coucher. Et si je laisse la porte fermée, et si j’écris toute la nuit, il dormira ailleurs. Il s’en fout. Parce qu’il comprend. Pas de hasard finalement.

Je ne suis clairement pas prête pour lui, pour ça. Mais c’est bien comme ça au fond. Lui non plus. Quand il aura enlevé son alliance peut-être. Quand j’arrêterai de claquer des portes qui ne sont pas les miennes. Peut-être que ce jour-là on sera prêt tous les deux. Mais clairement là non. Alors on profite. On boit du vin. Du bon vin. Du putain de bon vin. Comme ce soir. On boit du vin, on mange du fromage, on fait l’amour. Tout ce que j’aime. Tout ce qu’on aime. Parce qu’il s’en va dans trois semaines. Et qu’on s’en fout. Oui on sera triste mais au fond c’est bien. Parce que s’il ne partait pas on ne serait pas en train de vivre ça. S’il ne partait pas, je ne lui donnerais pas tout ça. Au fond il n’est ni dépressif, ni drogué, ni noir, ni trop abîmé. Pas mon genre donc. Et en même temps tellement mon genre. Ce que j’apprends au jour le jour avec lui. Chaque jour je décide que c’est le dernier, et chaque jour je reviens sur son canapé. Parce qu’au fond ça me fait du bien. Il me fait du bien. Les pieds sur terre. Et en même temps pas du tout. Peut-être le seul mec qui me comprend un peu depuis mille ans. Partir à deux heures du matin dans la neige. Parler fin du monde, existence humaine, Platon. Caverneux. Le seul finalement. Et j’adore ça. J’adore ça. Je grandis. Je sais que je grandis. Et donc pas prête encore. Un jour sur deux disons. Alors qu’il s’en aille, c’est bien. Très bien. Je grandis. Et j’écris, toujours j’écris. Ca ne changera pas. Vieille habitude. Au dixième « oui en ce moment je vais super bien » bam ça part en couille, je cours, je danse, je ris, je vomis, je cours, je saute, je pleure, je bois de l’eau et j’écris. J’écris. Parce que la machine est lancée. Ça y est je m’y suis mise. Et mon corps ne me laissera pas de répit. 10 jours sans écrire. Beaucoup trop. Alors je m’enferme dans sa chambre. Un jour de plus et je sautais du balcon. Heureusement il comprend et ne me fera pas attendre. Je ne sauterai pas du balcon. Assise au sol, le dos au mur, la musique à fond dans mes oreilles. Jusqu’à pas d’heure s’il le faut. Je m’en fous. Il est là. Je l’oublie mais je sais qu’il est là. C’est bien. C’est ça. Et me voilà qui me calme. Il est temps. Il est temps de reprendre mon deuxième roman.

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Auteur·e

julietirard

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