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Parce que les belles choses méritent qu'on les savoure

et des sapins qui agonisent, témoins d’un passé révolu.
©Le Berlinographe

– Tomber, ne pas tomber, frontière délicate mais délicieuse avec toi. Tu manques déjà, à mes mains, à mes draps.

J’ai jeté mon sapin. Comme ça, dans la rue, comme tout le monde, Noël, Nouvel an, fin de ces deux intenses semaines, entre oubli et magie, nouvelle année, et des sapins qui agonisent, témoins d’un passé révolu. Et avec lui, avec eux, Thomas est descendu dans la rue. Dans ma rue. Il est parti ce matin. Comme cet été, un avion, un baiser, envolé. Ou plutôt non, pas comme cet été…

Souvenir d’une nuit, fin du mois d’août, nous buvons du vin à ma table, seul meuble de mon appartement en travaux. Odeurs de peintures fraîches, un vieux matelas au sol, des valises qui débordent, un parquet sans ses plinthes, des fenêtres sans rideaux, des étoiles, un vent chaud. En froid et bouillants à la fois, deux uns terrorisés par l’autre, irrémédiablement attirés et prêts à s’en punir pour autant. Lui sur un tabouret, moi sur mon coffre en osier, je pose mon verre. A la force du vin je délire sur mes rêves, des rêves de loft grandiose au cœur de Mitte, vue sur la Fernsehturm, une table immense, une baie vitrée, une bouteille de vin, pause, regard sur mon 30m2 en chantier, un bien meilleur vin et… et lui, Thomas. Aucun mal à le placer alors dans ce décor fictif. Dans mes rêves d’avenir. Mes yeux se lèvent vers lui, portes ouvertes à mon cœur, et il me plante là. Pas de réponse, un sourire, toujours ce même sourire qui m’empale à ma place, fait plier ses yeux où se reflètent les bougies sur ma table, il me plante là, moi, mon vin, ma baie vitrée, avant de se jeter sur moi. C’était il y a cinq mois maintenant. Début septembre, on se quittait par messages en s’engueulant, l’un n’ayant pas le temps de traverser la ville pour dire au revoir à l’autre, ou serait-ce l’inverse. Indisponibles tous les deux, terrorisés c’est sûr. Dans les semaines qui suivent je ne vois plus que moi dans le reflet de la baie vitrée de mon loft grandiose, moi et mon verre de vin, mes bougies, mes vinyles, jusqu’au 31. Jusqu’à la nuit du 31. Jusqu’au toit, aux feux d’artifice, jusqu’à mon cœur qui explose, explose, explose. Jusqu’à le voir devant moi, sur ce trottoir, dans cette rue de Charlottenburg, au milieu des garçons.

– Pourquoi t’es bien avec moi ?
– Parce que je choisis pas, c’est toi c’est tout.

On grandit en quatre mois. Lui loin de Berlin, moi en son cœur, voilà comment nous accorder finalement. Trois nuits passées avec Thomas. Trois nuits où tout explose, où je tombe, et tombe, chute agréable où l’on sourit beaucoup, niaisement oui et alors ! Et où le reste ne compte plus, seul le présent a du goût, les autres en fait on s’en fout. Mais Thomas est parti ce matin. Sans message cette fois. Et conscient de me perdre à nouveau. Je l’ai guetté par la fenêtre, l’ai regardé traverser la rue, son sac sur l’épaule, ai regagné mon lit, mes draps, mes vêtements balancés çà et là. Et comme la dernière fois, une sensation subtile, celle que ça ne peut s’arrêter comme ça. S’il n’y a pas d’au revoir c’est qu’il y aura un revoir. Alors attendons, prenons notre temps, les belles choses méritent qu’on les savoure, or je suis bien d’accord sur une chose Thomas… c’est beau avec toi.

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Auteur·e

julietirard

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