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Parce que je veux rester douce

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Je ne mets plus mes lunettes. Je les ai faites refaire, parce que la dernière fois au cinéma même avec j’avais du mal à lire les sous-titres. C’était en coréen, il me fallait les sous-titres. Alors j’ai passé une semaine sans, presque dix jours, et puis je les ai récupérées, et je me suis sentie comme une super héroïne. Les couleurs étaient tellement plus fortes, et les mots, même très loin, se fixaient sur ma rétine. Mais autour de moi tout s’est mis à tourner. Il faudra les porter une journée entière pour vous habituer. Le truc c’est que je n’ai pas eu envie de m’y habituer. J’aime les couleurs pastel. Toujours aimé les couleurs pastel. Sans mes lunettes tout est plus doux. Moi aussi, dans mon pull à poil tout doux. Je me sens plus douce. Plus très envie d’être cette super héroïne là. Pas à temps plein du moins. Alors je les ai rangées dans la boîte. Je les sors quand j’ai besoin de mon pouvoir magique. Quand je joue du piano, parce que sur mon tabouret je suis sûre de ne pas tomber. Parce que je ne veux pas jouer doux. Joue avec arrogance, vas y, va chercher le son dans ton piano, ne te contente pas d’appuyer sur les touches. Alors je me lance, et je vais chercher la mélodie, la mélodie dans mon piano, mon corps se balance, je me la pète comme dans les films ouais, et c’est bon. Tellement bon. Mes lunettes me font une tête de chat. D’ailleurs j’ai un teeshirt où il y a un chat avec des lunettes. Quand je le mets c’est drôle. C’est moi. Et comme un chat, je me love dans mon fauteuil rouge, dans mon appartement pastel. J’ai encore changé les meubles de place. Encore. Quatrième fois en cinq mois. C’est comme les lunettes. Parfois c’est important. Ca aide. Pouvoir magique. Dans mon fauteuil rouge j’écris sur l’ordinateur sans mes lunettes. Pour être sûre de ne pas trop en faire, pour être sûre de ne pas m’éloigner des atomes de la pièce. Pour rester douce dans mes mots. Parce que la colère, la mélancolie, la jouissance, toutes ces émotions qui me prennent, littéralement, quotidiennement, ne sont jamais loin, il est important de rester pastel.

Je ne mets plus mes lunettes. Elles me font peur maintenant. Elles me montrent sans arrêt que sans elles je ne suis pas si bonne. Je ne suis pas grand chose. Je ne vois pas super bien. En tout cas pas super loin. Elles murmurent à mon oreille. Jule… Tu as besoin de nous… Tu as besoin de nous pour être bien, mieux. Etre mieux grâce à nous. Quand je les laisse dans leur boîte j’essaie de les avoir loin de moi. Et surtout loin de mon téléphone. Parce que tous les deux à côté c’est la terreur garantie. Genre ne pas les mouiller après minuit. Il ne s’agit plus de murmures mais de cris. Sans nous tu n’es rien. Tu ne peux rien faire sans nous. Depuis quelques temps je sors faire des courses sans mes lunettes, et sans mon téléphone. Ils me font peur. Ils me répètent sans cesse que sans eux je ne suis pas grand chose. Alors qu’assise là, dans mon pull doux à poils, au milieu de mes couleurs pastel, comme un doux chat, je me sens bien. Pourtant bien. Et good enough. Parfois je rêve d’un chalet dans la montagne. Loin. J’allumerais mon ordinateur une fois par jour, le matin par exemple. J’aurais une tasse de thé dans la main. Ce serait super compliqué d’avoir internet alors je ne l’utiliserais pas vraiment. Peut-être que j’irais dans le café du village, le seul qui aurait internet. J’écrirais. Je lirais. Je me sentirais bien, parce que moi, sans comparaison, à un rythme lent. Plus lent. Bien plus lent. Les couleurs seraient douces parce que ce serait la fin de l’hiver. Le blanc de la neige révèlerait le jaune et le bleu des crocus. Un peu d’herbe verte, un soleil doux. Parfois je rêve d’un chalet de bois. Parfois c’est souvent. En fait ces derniers jours c’est tout le temps.

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Auteur·e

julietirard

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