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Parce que je suis libre

tempelhof
©LeBerlinographe

Est-ce qu’on écarte les bras en croix quand on est amoureux ? Est-ce qu’on grimpe sur son vélo, pédale, prend de la vitesse, dévale la butte pour rejoindre la piste de décollage, pédale encore plus vite, le vent dans le dos, est-ce qu’on se redresse, lâche le guidon, s’assoit droit sur sa selle, est-ce qu’on écarte les bras, comme ça, comme un enfant qui court trop vite, enlève son bonnet, laisse ses cheveux s’emmêler dans le vent, fouetter son visage, les oreilles gelées d’ivresse, est-ce qu’on fait ça quand on est amoureux ? Est-ce que j’ai fait ça quand j’étais amoureuse ?

Ce qui me frappe ces derniers jours c’est mon ivresse de liberté. Ivre de bonheur je m’envole chaque fois que je pédale un peu trop vite, les bras en croix, sourire radieux sur mon visage, et ces hormones qui explosent, torrent brûlant du cerveau au nombril, flux et reflux, cris orgasmiques, libre. Libre parce que seule. Délivrée de l’Autre. Pas tant de l’homme non, mais d’Elle. La Passion. Libérée de mes émotions gigantales, incontrôlables, ma prison pailletée, cette Passion qui sait si bien m’envahir, me pénétrer avec la plus magique des violences, me traverser, me détruire dans un souffle atomique. Quand mon corps n’est que frisson, dédié aux mains de l’Autre, ses caresses, ses doigts délicats, avides. Quand je ne vis que pour avaler les marches d’un septième ciel qui devient huit, neuf, douze, quatre-vingt dix. Quand, traversée de lumière, je suis étoile filante, magnifique, merveilleuse, jusqu’au trou noir de ces ruptures inévitables. Less is more. Rire jaune. Pas mon truc. Le Très, le Trop oui, et surtout en amour. Le Trop oui.

Et me voilà aujourd’hui qui renaît de mes cendres d’étoile brûlante. Libre à nouveau. Je pédale comme une folle, une malade, droguée à la dopamine de mes émotions borderlines, les bras en croix, libre car seule. A nouveau sur la terre, guérie du vide de ces trous noirs. Ressuscitée. Alors mon corps, mon esprit, mon moi tout entier se charge à nouveau, éponge je suis, le sens dans chaque pore de ma peau. Je gonfle, enregistre, emmagasine chaque frisson, chaque nuance de rose dans le soleil couchant, chaque battement raté de mon cœur passionné, jusqu’à filer encore, scintillante. Ce soir quoiqu’il en soit je m’envole.

Casque vissé sur les oreilles, jambes étendues sous le siège devant moi, « nous venons d’atteindre notre altitude de croisière » annonce le commandant, et mes yeux s’ouvrent. Mes yeux s’ouvrent en un éclair. Si brutalement. Mes mains tremblent. Mes doigts tremblent. Mon cœur bat trop vite. Plus de vélo ni de coucher de soleil sur Tempelhof, mon iris se vide avant de se remplir de mots, de signes. A peine sortie du trou noir me voilà qui fonce déjà vers un nouvel amour, ma main ne s’arrête plus d’écrire, de bleuir les pages de cet ancien carnet. Là, à des milliers de mètres au dessus du sol, s’écrit sous mes yeux ce qui sera mon troisième roman.

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Auteur·e

julietirard

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