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Ostbahnhof

Les enfants perdus.

Hannes m’avait donné rendez-vous à Ostbahnhof à minuit. Retard. A deux heures du matin je suis le rythme de ses pas au cœur d’une sordide zone industrielle. Quelques silhouettes apparaissent sur le trottoir. Dans le noir nous sommes nombreux à voguer dans la même direction. Silencieux. Hannes accélère, je cours presque pour ne pas me faire distancer. Soudain la queue s’impose devant nos grands yeux ahuris. « C’est mon record ». Deux heures dix. Son souffle dépité marque le début d’une longue et froide attente. Fébriles.
Quatre heures. Le soleil s’est levé raccompagnant sur le chemin boueux les malheureux d’un « nein » sans appel. Nous sommes à la porte. L’immense bloc se dresse devant moi. Epuisée. Hypnotisée. Transpercé par les lumières multicolores. Ma bouche s’entrouvre. J’appuie mon dos contre la barre de fer qui nous guide. Animale. Mon sang pulse et réchauffe mes entrailles. Je vibre d’impatience. Je veux rentrer. Je dois rentrer.
Quatre heures quinze. A l’intérieur, ma bouche ne se ferme plus. « No photo please ». Trop tard, les clichés sont à jamais gravés. J’avance vers l’escalier métallique et me laisse submerger. Jubilatoire. Mon corps renaît. Je ressens toutes les connexions qui se font une par une à la manière d’une explosion. Orgiaque. Je dois bouger, je dois sauter, je dois danser, courir et me marrer comme une hyène dans la fumée qui m’embrume et me berce. Hystérique. Et je vois la même chose dans ses yeux à lui. Je tends ma main. J’écarte les doigts. Je frôle sa peau dans le gris. Electricité statique, décharge fantastique, départ d’une matinée lyrique. Toute la nuit, toute cette putain de nuit sans étoile nous danserons, courrons, sauterons, nous embrasserons entre deux rires vivants, toute la nuit. Toute la nuit jusqu’au matin, immense et confortant ce lieu de perdition où deux enfants perdus viennent de se trouver, leurs âmes au poing. Main dans la main.
Neuf heures. Mes organes me crient de sortir, me hurlent de partir. Faim. Je retrouve Berlin. Le soleil qui nous frappe en pleine tête, nos pieds tremblants sur le gravier. Un regard sur cette maison gigantesque, on s’y sent vraiment bien.

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Auteur·e

julietirard

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