Crédit:

L'invisible se meurt

Mon corps pourrit à l’intérieur. L’invisible se meurt, je meurs, et je le sens. Mes organes, les uns après les autres, ma peau, des milliers de bestioles me rongent et font leurs dents sur moi je verdis je noircis je m’effrite tout le monde s’en fout. Il y a bien eu l’ostéopathe qui m’a demandé si cette tache blanche sur le pouce avait toujours été là. Et puis la naturopathe/acuponctrice/magnétiseuse je serai vous je ferai quand même vérifier la thyroïde elle a toujours été gonflée comme ça ? Ma vessie me lâche. Mon dos. Mon vagin. Le stress, le stress c’est le stress les médecins ne voient rien, ne trouvent rien, à 28 ans on n’a pas de carences, on n’est pas malade, les carences de toute façon ça n’existe pas dans nos pays, c’est la fatigue, c’est le stress ça, vous méditez ? Aidez les mamies à traverser la rue, vous verrez ça ira mieux. Mon ventre me brûle. Ce soir je ne sais pas si c’est l’inflammation de l’urètre, l’infection de la vessie ou encore la mycose, l’ovaire, oui l’ovaire me fait mal, le droit, ça fait trois semaines, entre temps mes règles mais ça n’a rien changé. Il me fait mal. Ah, et l’autre pouce j’oubliais. L’eczéma est revenu. Les lésions, le pus, c’est petit, encore petit, une petite surface près de l’ongle mais ça suffit pour piquer quand je me lave les mains, quand c’est trop sec, trop humide, ça s’agrandit, bientôt ça prendra tout le pouce ça grattera ça suintera en permanence comme il y a trois ans. Comme il y a trois ans je tombe. Pas dans les pommes mais dans un vide. Des points noirs, les membres trop lourds, plus capable de rien seulement regarder devant. Ah, ai-je mentionné l’orgelet ? Ce bouton qui me raye la rétine à chaque clignement de paupière ?

Hier, j’ai rencontré cette fille. Endométriose, solution pilule, résultat plus 20 kilos. Hier j’ai rencontré cette fille, trois mois dans une maison thérapeutique. C’est ce qui m’attend c’est ça ? C’est là qu’on va finir par m’envoyer ? Vous m’aviez prévenue déjà, 2012, 2015, 2018 sera la bonne ? Et si je n’y vais pas ? Si, comme chaque fois, au dernier moment, je trouve la force nécessaire de faire semblant. De continuer à socialiser, à travailler, à aller de l’avant – car c’est ce qui me sépare des autres c’est ça ? de ceux qui prennent des médicaments ? – si je n’y vais pas si je ne les prends pas, jusqu’où ça ira ?

On dira : elle était trop sensible pour cette vie – et trop jeune pour… On dira elle était trop sensible, un ange – ou toute autre connerie – il y avait des signes, ça risquait d’arriver, regardez cette série d’autoportraits datant de 2012, et ces textes… Quelle noirceur, et quelle beauté. Mais elle était trop sensible oui, pour elle cette vie, la vie, c’était trop compliqué.

Étiquettes
Partagez

Auteur·e

julietirard