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Parce que je flotte, je me dilue

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©Charlotte Provost

Ce soir je flotte. Constat récurrent. Je flotte. Entre deux émotions souvent, deux sentiments s’entend, entre réel et froideur de l’esprit, je flotte, froide et floue. Ce soir je flotte. Mais pour de bon. Je flotte. Vraiment. Tête en arrière, yeux noyés d’eau, mon nez, ma bouche, seuls dans l’air. Genoux pliés, bras étendus de part et d’autre, nue.

La densité de l’eau du Liquid Room est parfaite, juste parfaite. Parfaitement claire, parfaitement salée, de sorte de pouvoir nager, marcher, s’asseoir au sol, et puis flotter, se laisser aller en arrière, appuyer ses cuisses sur l’eau, ses coudes sur l’eau, sa nuque portée par chaque grain de sel dissimulé. J’ai délaissé la grande voûte aux lumières douces, j’avais besoin de solitude, m’inonder totalement. Alors je flotte seule dans ce bassin de deux mètres carrés tout au plus. Infinie douceur, infinie lourdeur de mes muscles qui se délassent, gonflent sous le sel chaud. Température parfaite de l’eau qui se fond sur ma peau, la tête renversée en arrière, les yeux noyés, ma bouche seule encore dans l’air, je flotte, je vole, jouissive apesanteur. Un cube bleu gris aux reflets de mes yeux, tout se noie, tout s’inonde, tout se fond, et moi, plus transparente que jamais, j’absorbe et me dilue.

Je frôle le sommeil, sans y plonger vraiment, dormir dans l’eau, dans l’eau seule, m’inquiète trop pour oublier le monde. Le sel mouillé glisse sur les mosaïques tièdes, berceuse, je rêve, la tête renversée je rêve, nue dans l’air. Je rêve à lui. Ce nouveau A. dans ma vie. Ce nouvel Anonyme, Aspirant à être un jour Ami, Amant, Amour, Amer, Austère, Arrière ou non, je ne sais rien encore. Dans ma tête plongée dans l’eau, dans mes doigts qui posent sur l’air, se glisse dans mon nombril, A. est là. Pour combien de temps je ne sais plus rien dire. Je n’ose plus rien penser. Flotter plutôt que se débattre, attendre plutôt que se précipiter, laisser le temps au temps, garder la tête en arrière et les membres au repos, nue, entière. Mais rêver, rêver à lui dans cette chaude apesanteur, entre deux éléments majeurs. Les pores comblées du poids du sel, le corps emprisonné, le cœur au ralenti, immobile pour ne penser qu’à lui, à rien d’autre, pureté du sentiment. Je ne pense pas je rêve, je ne le pense pas, je le savoure. Ce loup qui a surgi une nuit devant moi, une nuit grise où plus floue que jamais je ne pensais être vue.  Ses yeux transparents, chair à vif. Ses yeux transparents, inquiétants, inquisiteurs, ses mille questions animées par la peur, et mes silences pour ne pas l’effrayer. Deux corps flous oubliés dans ce bout de forêt. Yeux transparents, chair à vif. Vibrantes à la lueur des bougies.

Ce soir je flotte. Je me dilue. Tête en arrière, yeux noyés d’eau, mon nez, ma bouche, seuls dans l’air. Genoux pliés, bras étendus de part et d’autre, nue, entière.

Merci à Simon pour l’illustration sonore…

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Auteur·e

julietirard

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