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En Fanfare

Entre nous ça a commencé en fanfare. On peut le dire. Tous les dimanches de ces trois mois passés à Toulouse. Tous ces putains de dimanche matin, les tambours, le trombone, et ta trompette, ta putain de trompette. Tous les dimanches sans exception. Même quand il a plu à verses cette première semaine d’octobre, quand je me suis couchée à l’heure du soleil levant en pensant, au moins ils ne joueront pas demain. J’avais tort. Vous avez joué, pas peur du vent, pas peur de la pluie, pas peur des seaux d’eau que je rêvais de balancer par la fenêtre. Et puis il y a eu ce dimanche matin où je suis sortie acheté le pain. Quand j’ai ouvert la porte tu étais là. Ta trompette à la main. Je te l’aurais fait bouffer. Tu avais oublié ta veste. Les autres étaient déjà partis, tu leur avais dit « je vous rejoins », et voilà, tu as sursauté quand j’ai ouvert la porte, tu m’as regardée, je t’ai regardé, et …
Non ça s’est pas passé comme ça en fait.

Ça a commencé en fanfare mais sans tambour ni trompette. C’est la quatrième fois de la semaine que je venais au magasin. Lundi j’avais besoin de sel. Mardi de pain. Jeudi de salade. Samedi de chocolat. Et c’est sur le chocolat que tu as fini par me dire quelque chose. « Vous avez raison, il est super bon celui-là, en plus il est produit à quinze kilomètres de Toulouse seulement. » Et j’ai répondu « ah vraiment ? » Mais sur un ton désagréable, celui qui me caractérise malheureusement. Un mélange d’arrogance, de condescendance, de mépris universelle. Mes yeux restent fixés sur mes doigts, et sur la toute dernière syllabe du tout dernier mot je relève le menton, d’un coup, la mèche qui couvrait mes cils s’écarte comme par magie et je plante deux couteaux dans la peau de l’autre. Deux couteaux qui raclent, transpercent, achèvent, en une fraction de seconde. Tu m’as regardée, j’ai baissé les yeux, honteuse, sauf que bien sûr ça ne se voyait pas sur mon visage que j’étais morte de honte. Tu n’as rien dit, je suis partie. Je suis revenue moins de dix secondes plus tard. J’ai bousculé la vieille qui avait commencé à sortir les courses de son caddie flambant neuf, j’ai dit « pardon », non je ne crois pas que j’ai dit pardon, j’ai dit « tiens, mon numéro. »
Non, j’ai pas dit ça, parce que ça s’est pas passé comme ça en fait.

On était à la fac. Je suis rentrée au foyer et tu étais au piano. De chaque côté sur la scène, on attendait. Une trompette attendait, un tambour attendait, c’est comme si tout le monde retenait son souffle. Enfin dans ma tête parce qu’en fait tout le monde parlait. Il y avait ce mec de ma classe qui réchauffait ses nouilles chinoises, et cette fille là, que j’ai complimenté sur son tatouage un jour en me disant elle va me prendre pour une folle, elle va croire que je cherche un moyen de l’aborder via ses tatouages, alors qu’en fait je cherchais pas à l’aborder, enfin si, mais j’aurais pas parlé des tatouages si je voulais vraiment la draguer, enfin merde t’étais là. Tu jouais du piano, et dans ma tête, tout le monde retenait son souffle, surtout la fanfare. Tes cheveux blonds scintillaient dans ton chignon coiffé décoiffé. Comme j’adore m’en faire. Mais sur mes cheveux ça rate une fois sur deux parce qu’ils sont trop fins. Tu portais tes lunettes rondes, tes lunettes de chat. Moi aussi j’ai des lunettes de chat. Elles te vont aussi bien qu’à moi. Je te regardais et je me disais qu’on pourrait se les échanger nos lunettes de chat. Mais moi elles sont pas très fortes mes lunettes et les tiennes elles ont l’air un peu plus fortes alors je risquerais d’avoir mal aux yeux. Mais bon, en te regardant comme ça je me dis que je pourrais sûrement m’immoler pour toi, me noyer pour toi, me prendre plein de balles et des cailloux et du sable dans les yeux et des spaghettis dans ma culotte tellement t’es belle à en crever. Quand t’as eu fini de jouer ton morceau et que tout le monde s’est regardé, tendu, prêt à applaudir, enfin dans ma tête parce qu’en vrai les gens avaient pas changé de conversation, juste le mec de ma classe qui terminait ses nouilles chinoises et s’apprêtait à partir. Et en fait la fanfare ils attendaient que tu dégages parce que eux ils avaient réservé la salle. Enfin non on leur avait réservé plutôt, c’était la semaine d’inauguration du bâtiment. Le gai savoir. Avec un i. Quand on s’est faite la réflexion plus tard dans ton lit on en a ri. Enfin non en n’a pas vraiment ri. Parce que j’étais pas dans ton lit.

En fait ça s’est pas passé comme ça. En fait on s’est rencontrées à Berlin. Et ça fait trois mois que j’t’imagine à Toulouse et que j’me fais des films, j’me fais des scène où on vivrait une histoire de fou, de folles plutôt. Mais c’est que dans ma tête tout ça. Surtout qu’en vrai toi et moi on sait que j’en suis pas capable de tout ça. Que j’l’ai trop fait. Et qu’avec toi j’veux pas tout gâcher. Alors je vais garder mes films pour des débuts d’histoire. Que j’écrirais à Toulouse tiens, les jours où j’ai pas cours, figure-toi que ça arrive plus souvent qu’on ne le croit. Et puis toi, toi, j’te retrouve bientôt. J’te retrouve au printemps. Et on verra si ça démarre en fanfare. On verra. On verra surtout si ça démarre. Mmm. On verra.

Ecrit dans le cadre des « soirées sous les toits »

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Auteur·e

julietirard