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Comment j'ai perdu un ami

Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, j’ai perdu un ami. Un ami, un amant, un frère. A croire que tous ceux qui ne trouvent pas leur étiquette n’ont pas leur place dans ma vie.
On s’était retrouvés après deux années de silence, souvenirs d’enfance. C’était il y a deux mois tout juste. Un 31 octobre, je suis venue te chercher à l’aéroport, on a attendu le Ring sur le quai, en plein soleil, délicieux soleil d’automne. Je t’ai conté Berlin, t’ai emmené au Tempelhofer Feld, en souvenir de nos promenades, en souvenir de tes rêves d’avions. Assis dans l’herbe jusqu’à trembler de froid. On a pris un café à Neukölln, je t’ai pris la main, ai caressé tes doigts du bout des miens. Contente d’y avoir cru, fière de l’avoir déclamé à tous, partout, depuis toujours : qu’importe les frontières, qu’importe les obstacles, toi et moi, à la vie à la mort, quelque chose de magique, comme dans les Jeux d’enfants. Un frère, un amant, un ami. Mais l’inceste est condamnable, enfante le mal, j’enfante aujourd’hui. Les morceaux brisés de cette illusion raclent mes joues, poussés par mes larmes qui coulent, tombent au sol, je te vois passer la porte, encore et encore, et cette certitude aujourd’hui contraire, la certitude que tu n’entreras plus jamais. A la mort ce sera désormais.
Deuil à faire, d’un ami, d’un amant, d’un frère. De cette magie, de cette certitude, de cette fierté. Tu m’offres ce spleen horrible à l’heure où je savourais enfin cette solitude tant décriée les semaines passées. Tu m’offres ton spleen terrible, car ne me fait pas croire que ta vie aujourd’hui fait de toi un homme heureux.
Je t’aimais. Cherche un présent au passé : je l’aime, celui que j’embrassais à dix-sept ans, je l’aime à la vie, et penserai à lui chaque jour, sûrement chaque jour. Je penserai à eux, deux adolescents amoureux, sur les routes de France, d’Italie, d’Espagne, en train, en avion, en voiture, sans permis, à l’hôtel, sous la tente, sous les étoiles, assis en haut de la colline, une pizza à la main, les yeux perdus au loin, les lumières des villages, de notre village, la Sainte Victoire, rêvant à leur avenir. Finalement pas commun.
Tu as passé la porte, tout s’est éteint, la flamme, l’espoir, tout. Et mes yeux saignent. Ton verre de vodka m’a glissé des mains, en plein sur mon verre à vin, éclats de verre, coupure à l’œil. Comme pour mieux broyer du noir.

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Auteur·e

julietirard

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