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Comment c'était Abidjan? - Partie 1

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Comment c’était Abidjan ?
C’était…
Comment ?
C’était.
Comment ça, c’était ? C’était comment ?
C’était… C’était… C’était quoi ! Voilà. C’était. C’est plus.
Ben raconte Jule !
Je sais pas moi. Tu veux que je raconte quoi ?
Ben l’Afrique ! Les gens ? Tu t’es fait des potes ? La mer, la ville, il faisait chaud ? T’as appris des trucs ? T’as bronzé ?

L’Afrique, mais l’Afrique tant qu’on y est pas ça ne se raconte pas ! Et puis l’Afrique c’est quoi l’Afrique ? L’Europe c’est quoi ? Tu te sens aussi bien en France qu’en Grèce, qu’en Autriche ? Je peux te parler de Bassam oui peut-être, mais pas de l’Afrique. Et même si je parlais de Bassam, mes mots ne suffiraient pas. Mes mots, aussi chauds soient-ils, aussi nourris soient-ils, ne seront jamais suffisants pour amener dans tes narines l’odeur de la viande qui pourrit sur l’étal, l’air chargé de bissap, de piments, de poissons et de fleurs mélangés. Mes mots, aussi fouillis soient-ils, ne te perdront pas comme je me suis perdue dans le marché couvert, labyrinthe d’objets divers, d’hommes allongés sous les tables, d’enfants qui s’ennuient, de femmes qui se coiffent, de musiques ivoiriennes, de téléréalité française, à guetter S. partis en quête de tissus pour une chemise ou une nappe qui donnera un peu de couleur à Paris. Mes mots, aussi humides soient-ils, ne te feront pas goûter au vent du soir qui balayaient nos cheveux à l’heure de nos dîners dans le noir, ne sauront pas mouiller tes joues sous les larmes de M. à l’heure du départ, ne salera pas ta langue comme l’eau salait la mienne quand sous la douche je tendais mon visage vers le ciel. Ta peau ne frissonnera pas sous mes mots comme ma peau frissonna chaque matin à la sortie des draps, ta peau ne frissonnera pas sous mes mots comme ma peau frissonna au contact de ceux qui m’auront fait danser. Mes mots ne pourront traduire la chaleur moite qui m’envahit à la sortie de l’aéroport, ma gorge sèche, la sueur qui perla sur ma nuque et glissa dans mon dos. Et puis la chaleur sèche, la pollution malsaine de l’air abidjanais à la sortie du bus, mes sourires à la vue des casquettes rouges qui virevoltaient dans la ville. Mes sourires quand mon nom résonnait au matin « Hey Jule, la Berlinoise, bien dormi ? ». Mes sourires, encore, quand après avoir découvert un cafard mort dans sa taie d’oreiller, L. guetta chaque soir un autre de ces invités. Mes rires à les voir tous sauter un par un habillés dans la piscine, mes rires encore, quand j’apprends à l’un à tirer sur un joint quand l’autre s’étouffe promptement. Mes rires toujours quand la vague nous attrape et trempe nos chaussures sur cette plage au milieu de la nuit. Anniversaire de Bob Marley, soirée reggae sur la plage, les pieds dans le sable, à free jumper comme des rois. Si je me suis fait des potes ? Bien sûr que non je ne me suis pas fait de potes ! Pas même des amis. Mais bien plus que ça, au-delà de ça. Ni mes potes, ni mes amis, parce que je ne prétendrai pas les nommer de la sorte, je ne saurai les posséder. Ils ne sont pas miens non. Nous appartenons tous les uns aux autres dans notre famille innocente. Des femmes, des hommes qui comptent tant que je leur ai laissé toucher mon cœur. Des femmes, des hommes dont les mots m’ont transpercée chaque jour parce que j’avais levé toute barrière. Pour être entière, et recevoir, sans filtre, sans protection. Redescendre un peu sur terre, changer d’horizon, leur laisser me faire mal, me faire du bien, décaler mes points de vue, j’ai appris sur eux bien sûr, sur moi beaucoup. Merci R. de m’avoir lue, au-delà de mes billets, m’avoir lue, avoir tourné quelques pages de mon âme un peu noire. J’ai tant à cœur de devenir meilleure, de ne pas vous décevoir, de ne plus vous décevoir, de vous rendre fiers de moi. Je suis si fière de vous, d’être quelque part, une partie de vous. Famille.

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Auteur·e

julietirard

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