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22, Catherine Street

Au 22, Catherine Street, New York, une femme a été remarquée en train de danser dans la rue. Cette femme, c’était moi.

Je n’avais jamais dansé dans la rue de toute ma vie. J’ai dix-huit ans. J’avais déjà dix-huit ans quand j’ai dansé au 22, Catherine Street. Je n’ai pas dansé dans la rue parce que c’était mon anniversaire. Je n’étais pas saoule d’ailleurs. À mon anniversaire j’étais saoule. J’étais sobre ce jour-là. J’étais bien, je me sentais bien, je dansais dans la rue quoi ! Pour être honnête ? Je ne sais plus pourquoi je dansais. C’était l’été. Je portais cette robe verte, un vert d’eau que certains voient bleu, il n’y avait pas de vent, c’était un jour d’été new-yorkais, c’était un jour couleur juillet.

En fait si, je ne veux pas vous mentir, je sais très bien pourquoi je dansais là, dans la rue, en cette chaude journée de mois de juillet, au 22, Catherine Street, pas au 20 ou au 24, pas au 22 de la Third Avenue ou au milieu de Central Park, je vous ai dit qu’il pleuvait ? Vous le savez sans doute. Les journaux l’ont dit il me semble. En cette chaude journée pluvieuse – orageuse on trouve dans certains papiers – une jeune femme a été remarquée en train de danser dans la rue. Elle pleurait.

Je ne pleurais pas. C’était le ciel qui pleurait et moi j’étais en-dessous, mes yeux jouaient les sceaux, ça débordait c’est sûr.

Personne n’a dit ce que je dansais. Personne n’a écrit : au 22, Catherine Street, sous les torrents de ce mois de juillet – il a tellement plu, vous vous souvenez ? – une jeune femme dansait le swing dans la rue, ou le blues, la salsa, un mambo. Personne n’a regardé si mes pieds se frôlaient en sixième ou balbutiaient un Shorty George. Personne n’a vraiment regardé en fait. Personne ne m’a vraiment regardée en fait.

Même si, aux fenêtres, des téléphones portables, des likes à des stories Instagram, et puis un sourire. Et parce qu’il pleuvait et que je dansais toujours, parce qu’il faisait chaud et moite et que je ne me déshabillais pas, que je ne sortais pas de flyers de mes poches, que personne n’est venu me rejoindre pour un flash mob – ça se fait encore ça, des flash mobs ? – on a arrêté de filmer, on a arrêté de prétendre me regarder à travers l’écran, on, sauf lui. Lui, il m’a vue. Il était de l’autre côté de la rue, au 19, il avait du descendre de chez lui, il a sifflé, très fort, deux doigts dans la bouche, alors j’ai arrêté de danser et sous la pluie, Adam – il s’appelle Adam, il habite au 19, Catherine Street – Adam a pris le relai.

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Auteur·e

julietirard